Vivre et mentir à Téhéran - Ramita Navai

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syndrome de la dictature

A travers une dizaine de portraits, qui sont autant de nouvelles, Ramina Navai dresse le portrait d’une société Iranienne rongée par le mensonge.

De façon involontaire, ce livre constitue une frappante illustration des livres de Alaa El Aswany et de Ramina Navai ; il dessine le portrait d’une société Iranienne où le mensonge est une seconde nature, constitutive des rapports sociaux : les mensonges du pouvoir, bien évidemment, mais en réalité, le mensonge envahit tout l’espace social Iranien : les rapports entre individus et les institutions, les rapports amicaux, et même les rapports intimes.

On y voit, à travers une série de nouvelles qui sont autant de portraits d’habitants de la métropole Iranienne, une société rongée par la corruption, la violence, le mensonge. Les personnages sont obsédés par le sexe et le contrôle de leur destin, encadrée par un pouvoir obsédé par le sexe et le contrôle de sa population, jusqu’à l’absurde.

Législateurs et érudits passent des heures à parler de sexe, philosopher sur le sexe, condamner le sexe, punir le sexe. Les mollah édictent un nombre infini de fatwas à son sujet, dont certaines sont devenues légendaires. Une de celles que les Iraniens préfèrent est d’ailleurs étonnante. Emise peu après la révolution, elle était fondée sur un scénario hypothétique proposé à la télévision par un certain ayatollah Gilani : “imaginons que vous soyez un jeune homme et que vous dormiez dans votre chambre, alors que votre tante est couchée dans la sienne, juste en dessous. Un tremblement de terre survient et le sol s’écroule, vous tombez directement sur elle, or vous êtes tous les deux nus et vous avez une érection si le hasard fait que vous atterrissez sur elle et que, sans le vouloir, vous la pénétrez, l’enfant issu d’un tel rapport est-il légitime ou est-ce un bâtard ?”

Ce régime totalitaire - dans le sens où il affiche une volonté de contrôle total de sa population, provoque chez les personnages que l’on croise, une envie farouche de liberté, de fuite. Il reste une ville chaotique où sexe, prostitution, alcools, corruption, drogue, côtoient une richesse indécente et tapageuse - loin du puritanisme souhaité et promu par le régime des mollahs et de ses sbires.

Au final, le régime apparaît curieusement faible, faiblesse qu’il compense par une violence sauvage, imprévisible et arbitraire… violence qui provoque elle-même en retour une duplicité généralisé : il est nécessaire de se cacher pour se protéger.

La vérité est devenue un secret, un bien rare et dangereux, hautement prisé, à manipuler avec soin. A Téhéran, partager la vérité avec quelqu’un témoigne d’une extrême confiance ou, au contraire, d’un profond désespoir.
Mentir pour survivre est loin d’être un phénomène récent dans la culture Iranienne. Dès le début de la conquête islamique, les chiites ont été encouragés à mentir pour cacher leur foi afin d’échapper aux persécutions - une pratique appelée taqiya1. De même, le Coran autorise-t-il dans certains cas à mentir pour la bonne cause. Cette pathologie du subterfuge s’est répandu dans toutes les villes et villages du pays, même si Téhéran en demeure le coeur.
Mais voilà où le bas blesse : les Iraniens sont obnubilés par l’idée d’être vrais vis-à-vis d’eux-mêmes - c’est un fil directeur inhérent à notre culture. Le poète Perse Hafez nous implore de poursuivre la vérité afin de découvrir le sens de la vie :

Cet amour que tu as à présent pour la Vérité
Ne te quittera jamais
Tes joies et tes souffrances sur ce chemin ardu
Soulèvent ton voile élimé tel un rideau de théâtre
Et relèveront sûrement ton Moi Sublime.

Chaplin

« Femme, vie, liberté », le slogan du mouvement de contestation depuis la mort de Mahsa Amini. Photographie de Forough Alaei


  1. Czesław Milosz fait également référence à cette “tradition” dans La pensée captive, qu’il appelle Keitan : Les stratégies pour survivre à cet état de contrôle total et permanent peuvent varier, mais s’articule toujours autour d’une certaine dose de dissimulation, que l’auteur appelle Keitan, en référence à un concept issu de la tradition islamique chiite, qui décrit une stratégie de défense qui consiste à dissocier sa vie intellectuelle publique de sa vie intellectuelle privée. ↩︎