Dans ce court essai, Alaa El Aswany dresse le portrait des sociétés générées par les dictatures.
En une petite dizaine de chapitres, El Aswany décortique les dynamiques de la dictature, et la façon dont elle façonne ses sujets. Selon lui, la dictature ne se traduit pas seulement par un exercice autoritaire du pouvoir, mais également par une transformation profonde de la société qui en est victime.
En effet, la dictature génère également des effets profonds sur sa population, ses rapports sociaux - publics ou privés - et sur les individus.
Ces effets sont le syndrome de la dictature, un ensemble de symptômes qui montrent une société profondément affectée : perversion de l’éthique de vérité, généralisation du mensonge, duplicité, désintérêt de la chose publique, peur du pouvoir et dans le même temps, l’incapacité à envisager la recherche de la liberté, d’un changement de régime : la victime du syndrome de la dictature devient incapable d’y mettre fin. Cette duplicité devient son essence même.
Dans une dictature, les sociétés vivent dans tous les domaines une extrême dualité. Les gens ne peuvent pas accepter tous ces mensonges dans le domaine public et montrer ensuite un quelconque respect de la vérité dans leurs propres affaires et à la maison. Dans une dictature, il y a toujours une contradiction entre ce qui est annoncé et la vérité, entre ce qui est hypothétique et la pratique, entre les mots et les actes. Rien dans une société autoritaire ne rapproche l’apparence de son essence. L’hypocrisie dans le domaine politique s’étend progressivement à tous les domaines et la corruption passe de l’état de concept à celui de pratique. Les mots ont des sens différents et donnent un vernis de positivité à des aberrations. L’hypocrisie devient de la bienséance, la triche lors d’examens devient de l’“aide”, la lâcheté de la sagesse et la corruption une forme d’intelligence. Le pire méfait de la dictature est de détruire toutes les règles de droiture d’une société, en sorte que les actions n’y conduisent plus nécessairement à leur conséquence logique. Dire la vérité ne conduit par toujours à ce qu’on respecte ceux qui le disent et mentir n’amène pas toujours à ce qu’on méprise ceux qui mentent. Enfreindre la loi n’est pas toujours suivi d’une sanction et agir dans le cadre de la loi ne protège absolument pas contre les ennuis. L’intelligence, les études et le travail sérieux ne sont pas nécessairement les chemins qui mènent au succès et à la réussite.
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Dans une dictature, le pourrissement n’est pas limité à des individus, il finit par infecter tout le système ethique de la société. Ne restent en fin de compte que trois options : devenir corrompu, s’isoler ou émigrer.
Pour asseoir son pouvoir sur la société, le dictateur a recours a un certain nombre “d’outils” et d’artifices, qui sont peu ou prou les mêmes quelques que soit le régime, au delà de petites variations : usage de la violence débridée (arrestations arbitraires, tortures, disparitions) qui génère une peur sourde au sein de la population l’invitant au silence ou à la duplicité ; recours au théories du complots qui permet d’expliquer les inévitables échecs par l’intervention sournoise et maléfique d’agents et de forces étrangères ; ou encore l’instrumentalisation de la religion, en particulier son versant fanatique, avec qui le dictateur partage sa volonté de contrôler le corps et les esprit ; et enfin, dévitalisation de la vie intellectuelle comme pouvait le montrer Czesław Milosz dans la pensée captive
Charlie Chaplin, le dictateur