Contraitement à Pour une juste cause, la présence de Staline est récurrente dans Vie et destin
En revanche, il apparaît sous forme quasiment double, comme si deux personnages vivaient une vie parallèle.
Dans la bouche des personnages du livre, il est le petit père, ombre bienveillante, omnipotente, presque omnisciente, dont la simple volonté est à même de tirer l’ensemble du peuple russe et de ses composantes. Il peut changer le cours de la guerre (l’ordre de l’assaut décisif est donné directement par Staline et doit être exécuté à la minute près) et celui des destinées individuelles (son appel téléphonique - qui n’est pas sans rappeler celui qu’il a réellement donné à Boris Pasternak au sujet de Mandelstam - à Strum permettra à ce dernier de rebondir et de connaître une fin de carrière plus heureuse, même si pas sans ambiguité).
– Eh bien, camarades, le premier toast sera à la santé de notre père, bonne santé à lui.
Il prononça ces mots sur un ton un peu rude, entre amis. Cettte simplicité voulue devait signifier que tout le monde connaissait la grandeur de Staline mais que les personnes réunies autour de cette table voyaient d’abord en lui et aimaient en lui l’homme, un homme simple, modeste et sensible. Et Staline, sur son mur, contemplait de ses yeux plissés la tablet et la poitrine opulente de Galina Terentievna et semblait dire : “attendez, les gars, j’allume ma pipe et je vous rejoins."
– C’est ça, khai notre batko1 vive toujours, dit le frère de la maîtresse de maison, Nokilaï Terentievitch. Que deviendrions nous sans lui ?
En parallèle de ce personnage bienveillant, le narrateur dessine un monstre, un tyran, lourdement antisémite, violent et brutal, sans aucune considération pour les citoyens russes, le peuple et sa bonté naturelle, responsable d’un régime coupable des pires atrocités : la famine en Ukraine, la violence, les déportations dans les camps, les arrestations et procès arbitraires de 1937.
Pendant mille ans, la Russie avait été la proie d’une fantastique autocratie, du pouvoir absolu, elle avait connu des tsars et leurs favoris. Et pourtant, en mille ans d’histoires, jamais la Russie n’avait connu de règne semblable à celui de Staline.
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“Que notre petit père”, en ukrainien. ↩︎