L’histoire allégorique d’un ancien quartier du Caire : Gamaliyya.
Paru en 1959, le livre a d’abord été interdit en Egypte, en raison de l’opposition de certains religieux. L’auteur, Naguib Mahfouz, aura subi une tentative d’attentat de la part d’un groupe islamiste en 1994 auquel il échappe - le roman, en effet “représentait” les prophète, ce qui le rendait blasphématoire. Le roman sera finalement publié en 2006 en Egypte (même s’il circulait déjà sous le manteau bien avant).
Le quartier de Gamaliyya est un quartier du Caire fondé par Gabalawi, figure tutélaire, impérieuse, ancêtre de tous les habitants du quartier, et figure invisible, retranchée dans son palai.
Avant de se retirer, Gabalawi organise la vie de la cité autour de deux grandes figures, le waqf et les futuwwas, respectivement chargés de collecter les impôts et assurer le développement de la cité, et d’assurer la sécurité.
Rapidement, après son retrait, ces figures deviennent corrompues, maintenant un régime féodal, prédateur, violent, quasi mafieux, détournant l’argent collecté à leur unique profit et maintenant la population dans la misère.
Le roman raconte l’histoire de ce quartier, autour de plusieurs figures qui se succèdent au fil de générations, qui sont autant de tentatives de libération menées par les descendants de Gabalawi. Ces figures inspirées de personnages prophétiques et bibliques : Adham (Adan), chassé du paradis (le palais de Gabalawi), Gabal (Moïse), qui noiera ses ennemis, Rifaa (Jésus), figure Christique, trahie par les siens, Qasim (Mahomet), prophète guerrier. Ainsi, le quartier s’organise autour de 3 clans, chez qui l’on retrouve en creux les juifs, chrétiens, musulmans, unis dans leur désir de liberté, mais perpétuellement méfiants et en conflit les uns envers les autres.
Si chacune des figures prophétiques arrivera à libérer temporairement le peuple du joug des futuwwas en déployant sa stratégie propre, à leur départ, l’injustice et la misère reprennent le dessus, implacables, rendant l’atmosphère assez sombre, malgré le ton relativement léger du récit, qui prend par moment la couleur d’un conte.
“Ce qui est écrit est écrit ! Gabal a échoué, tout comme Rifaa et Qasim : notre destin est d’être dévoré par les mouches en ce monde et pas les vers dans l’autre !”
Un point remarquable du récit est l’alternance de résignation et de révolte face à l’injustice dont les habitants du quartier font preuve. Chaque libération est inévitablement suivi d’un retour à une période de soumission à la violence, acceptée comme inéluctable, comme si, tout ce qu’avaient pu apporter les différents libérateurs, les différents prophètes, avec leur récits, leur philosophie de gouvernance, était destinée à s’effacer, à devenir de simple éléments d’un récit ancien, sans prise sur le présent ; il y a peut-être ici une sorte de permanence Cairote, au delà de la succession des religions qui ont traversé la ville.
La soumission à la violence et à la fatalité s’immisce dans les esprits, jusqu’à tout recouvrir d’un voile qui perverti le besoin de liberté et de justice : même celui qui libère doit résister à la tentation, venant parfois de ceux qui l’entourent, à devenir tyran lui-même. C’est un trait qu’on retrouve également dans Le Syndrome de la dictature d’Alaa El Aswany.
Ce fut un jour mémorable que celui où Gabal toucha la part des intérêts du waqf qui revenait à son clan. Il prit la place dans la cour du bâtiment central – que l’on appelait désormais le Bâtiment de la Victoire - et fit venir les Hamdanites. Après avoir recensé le nombre de bouches à nouttit dans chaque famille, il répartit les fonds dans une totale égalité, sans se dinstinguer lui-même du sort commun. Peut-être Hamdan n’était-il pas totalement satisfait de cette équité ; en tout cas, il choisit une voie indirecte pour exprimer son mécontentement :
– Ce n’est pas juste, Gabal, tu t’es volé !
– Pourquoi ? J’ai pris deux parts, celle de Chafiqa et la mienne !
– Mais tu es notre chef !
– Ce n’est pas parce qu’on est chef qu’on doit voler les autres ! rétorqua Gabal de façon à être entendu de tous.
Quartier juif du Caire - Maurice LASERSON - Le Caire, Egypte, 1934 - (source)