Dernier ouvrage publié par Vassili Grossman, au soir de sa vie, récit d’un voyage en Arménie dans le cadre d’un travail de traduction.
On y retrouve le regard bienveillant et un peu nostalgique envers les personnes, “des braves gens” qu’il croise (déjà évoqué ici), qui arrivent à conserver une forme de dignité et de respectabilité, par la voie de la simplicité, leur bonté, une forme d’amour du prochain et et en s’inscrivant dans la poursuite de traditions - grandes et sublimes ; l’architecture - ou plus modestes, la cuisine le travail de la terre, l’élevage ; et ce, malgré les soubresauts de l’histoire, qui peut les percuter sauvagement.
La tante elle-même, dit-on, ne brillait pas par ses connaissances acquises en étudiant au lycée privé Lebenzon, à Odessa. On considérait qu’elle avait hérité du manque de réceptivité paternel pour la littérature et l’algèbre, et ne ressemblait pas à sa mère, Sofia Abramovna. Mais Rachel Semionovna était fort aimée de tous ses proches - elle était doutée d’une grande bonté, ne se plaignait jamais, toujours affable. Elle avait reçu en partage une vie difficile : son mari, économiste, avait été une victime innocente des purges de 1937 et était mort à la Kolyma ; son fils Volodia, ayant étudié, très jeune, la microbiologie à l’Université, avait été arrêté et tué en prison - il n’avait pas voulu avouer qu’il empoisonnait des puits ; sa fille, Nina, une jeune fille d’une beauté et d’un charme extraordinaires, s’était suicidé le jour où on lui avait remis son diplôme de fin d’étude avec mention à l’institut de chimie ; son fils cadet, Iacha, avait été tué au front lors d’une attaque de cavalerie. Et tous les siens, ses proches, ses amis, qui étaient restés à Odessa, avaient péri d’une mort horrible dans le village de Domanevka, où les Allemands avaient mené au supplice 90000 juifs d’Odessa.
Le supplice des Arméniens est évoqué parfois évoqué, faisant sombrer dans la folie, ou comme une souffrance en permanence présente, un voile sombre qui recouvre le pays et ses habitant ; et aussi un écho au génocide des juifs lors de la seconde mondiale, durant lequel Grossman a lui même perdu sa mère (et qui aura été un des premiers à découvrir les camps).
Il parlait des juifs. Il disait que pendant sa captivité en Allemagne, il avait vu comment les gendarmes extrayaient du lot les prisonniers de guerre juifs. Il me racontait comment ses camarades juifs avaient été tués. Il parlait de sa compassion et de son amour pour les femmes et les enfants juifs qui avaient péri dans les chambres à gaz d’Auschwitz. Il disait qu’il avait lu mes articles de guerre où je décrivait les Arméniens, et avait pensé : voilà un homme, dont le peuple a subi de cruelles souffrances, et qui écrit encore sur les Arméniens ! Il avait envie qu’un juif du peuple martyr arménien écrive sur les juifs. En cet honneur, il allait même boire un verre de Vodka.
une Ile du Lac Sevan.