Fils, époux, père dans la tragédie de la décennie noire en Algérie.
Le roman s’inscrit dans le contexte de la montée de la violence en Algérie, dans les années 90. C’est d’abord la montée sensible de la présence hostile et menaçante des barbus, exerçant une pression sociale plus ou moins ouverte et insidieuse, puis les meurtres, les attaques, les bombes, plongeant le pays dans la terreur et le chaos.
Ne pas se terrer le vendredi devient de plus en plus difficile. Le harcèlement autour de la prière a commencé il y a bien longtemps. Je me souviens d’avoir fait le malin plusieurs fois à Sidi Ahmed quand des voisins, prosélytes barbus, m’abordaient :
– Frère, il faut penser à ton âme. Tu as l’âge où un musulman ne peut se passer de prier avec ses frères. Ne me dis pas que tu pries chez toi, ce n’est pas suffisant. Ne fais pas comme les anciens, leurs pratiques sont erronées. Désormais, c’est à la oumma que Dieu s’adresse…
– Je le sais, “frère”, mais il est trop tard pour aujourd’hui, je n’ai pas fait mes ablutions.
Le barbu ne voulait pas me lâcher, il me tapotait l’épaule, côté rite, il était large d’esprit :
– Aucune importance tu feras tes ablutions à la mosquée, et même s’il n’y a pas d’eau, tu sais que le Très-Haut est indulgent.
Comment l’envoyer paître ?
Le personnage principal, lui vit cette montée de la violence comme détaché, il a d’abord sa vie à vivre, sa liberté à retrouver. Se libérer de sa mère, possessive et envahissante à l’excès, se libérer de la femme, possessive et envahissante à l’excès, coupable l’avoir sent piégé. Il doit se libérer de lui-même, trouver sa propre voie, trouver l’amour, trouver sa fée, jusqu’à ce que l’enfant arrive et chavire son existence.
– Oui, Zakia, c’est compliqué.
– Et que cherches-tu, toi ?
– Une fée, une femme, une grande lumière, pour m’en sortir.
– Les fées n’existent pas.
Ne dis pas ça, Zakia
La peur est là, pourtant, les ombres menaçantes sont omniprésentes. Il faut faire attention aux itinéraires, aux fenêtres qui doivent rester ouvertes, éviter les mauvaises rencontres, sauver les siens et continuer à vivre. S’inscrire dans le quotidien, faire les courses, aller travailler, déménager dans un endroit moins dangereux, jusqu’à ce que le piège se referme, imprévisible et impitoyable.
— Papa, autrefois d’autrefois, il y a très très longtemps, les gens étaient des lapins puis ils ont grandi, ils ont perdu les poils et les oreilles et sont devenus des singes puis ils sont devenus des personnes, c’est la fée qui les a changés. Les gens, ils voient pas la fée. Quand autrefois d’autrefois est fini, il est arrivé un autrefois des sorcières et des singes. Les singes, la sorcière, ils la voient. Les sorcières elles ont aussi inventé les crapauds. Papa, c’est des soldats qu’on a vus ? Ils sont pas là les terroristes ? Les terroristes, ils tuent. C’est la même chose que les égorgeurs. L’autre jour ils ont tué des gens dans la montagne, chez ammi Slimane. Moi, j’ai pas eu peur quand ils sont venus chez nous quand tu m’as cachée avec Kamel dans la niche de Django. Lui, c’est un grand chien et il a peur. Les chiens, ils ont peur ?
— Oui ma fille, les chiens aussi ont peur.
Mais les terroristes ne sont pas venus. Tout le monde a eu peur mais ce n’était rien.
Le port d’Alger - Jules-Alexis Muenier