Norbert Wiener revient sur la cybernétique, théorie scientifique qu’il a créée et développe ses implications dans de nombreux domaines.
La thèse développée par Wiener s’articule autour des concepts suivants :
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le monde est essentiellement entropique, c’est à dire, tend à la désorganisation et à l’uniformité
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une grande part de l’activité humaine consiste essentiellement à contenir, voire réduire, cette entropie. Ceci se fait via un effort constant, qui rend également le monde vivable, vraisemblablement.
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un des moyens (le seul ?) d’agir sur cette entropie est la boucle de rétroaction, qui permet d’atténuer/réduire/annuler l’entropie naturelle ; et ceci se fait via un circuit communiquant d’émetteur/capteur/actionneurs - ce qui s’applique aussi bien aux humains, animaux, machines (et aux relations entre ces différents éléments)
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il y a un dernier point qui est plus spécifiquement humain (dans un premier temps) et peut s’étendre à la machine (c’est bien évidemment encore plus vrai aujourd’hui qu’au moment de la rédaction du livre, pour ce qui est de la machine), c’est la possibilité de la mémoire, qui permet d’entrer dans un apprentissage ; et par ricochet, le langage, l’apprentissage, la science, la technologie : tout ceci permet à l’humain de disposer d’un levier plus important dans sa bataille contre l’entropie.
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ergo : si on est capable de décrire/expliquer l’ensemble de ces boucles de mémoire/rétroaction, on a un modèle explicatif de “l’ensemble de la société”
Ce modèle descriptif et explicatif permet à Wiener de développer sa théorie sur un champs assez vaste, allant du langage, de la construction du droit, à ses implications économiques, voire religieuses.
Il montre en particulier une anticipation remarquables sur les possibilités offertes par l’automatisation dans le monde économique - avec une description extrêmement convaincante (si on considère que le livre a été rédigé dans les années 50) ; il est en revanche moins pertinent sur son versant économique, montrant une vision peut-être un peu naïve.
“Rappelons que la machine automatique, quelle que soit notre opinion sur l’existence de sa sensibilité propre, représente l’équivalent économique précis du travail d’esclave. Tout travail qui fait concurrence au travail d’esclave doit accepter les conditions économiques d’une travail d’esclave. Il est évident que ceci produira un chômage en comparaison duquel les difficultés de la crise de 1929 paraîtront une bonne plaisanterie.”
Le livre se termine curieusement sur des considérations quasi religieuses :
J’ai déjà fait remarquer que le démon combattu par le savant est le démon de la confusion et non de la méchanceté préméditée. La vue selon laquelle la nature révèle une tendance entropique est augustinienne, non manichéenne. Son incapacité d’entreprendre une politique agressive, pour vaincre délibérément le savant, signifie que la malveillance résulte d’une faiblesse de nature, plutôt qu’un pouvoir malfaisant qu’elle pourrait avoir (…). Dans la vue augustinienne, la noirceur du monde est négative et se réduit à la simple absence de blancheur, tandis que dans le manichéisme, la noirceur et la blancheur appartiennent à deux armées opposées rangées en lignes, en face l’une de l’autre. Il y a un subtil manichéisme émotionnel implicite dans toutes les croisades, tous les jihads et toutes les guerres du communisme contre le capitalisme.
Cette idée d’absence de “méchanceté préméditée” de la nature envers le savant semble assez juste : Il n’y a pas d’intention maligne du monde face au savant, ce n’est pas d’ici que peuvent venir ses difficultés. En revanche, il semble généraliser de façon abusve lorsqu’il étend cette absence de malinité aux activités et conflits humains (“toutes les croisades, jihads, etc”), prenant d’ailleurs ici à rebour la vision développée par Gustav Herling dans variations sur les ténèbres : On ne peut imaginer un monde dans lequel il n’y aurait pas le Mal. On peut vaincre le Mal. Mais le Mal a une grande capacité à se régénérer.