Vers l'abime - Erich Kästner

Vers l’abime - Erich Kästner - (1931 - Allemagne).

Ecrit en 1931, le roman met en scène Jakob Fabian, publicitaire un peu cynique et désabusé, dans une errance tragique dans le Berlin de Weimar.

Publié en 1931 sous le titre Fabian, histoire d’un moraliste, partiellement censuré pour son obsénité et son immoralité, objet d’un autodafé auquel a assisté l’auteur, le roman décrit la ville de Berlin de la république de Weimar à travers les errances de Fabian

La ville porte encore les stigmates de la première guerre mondiale, souffre du chômage, de l’inflation. Les personnages semblent danser sur le feu d’un volcan dans un capharnaüm un peu grotesque de violence, de sexe, d’alcool, sous une immoralité totale, comme s’il fallait absolument s’étourdir face à la certitude du désastre à venir, encore un peu illisible, mais pourtant déjà palpable.

– Au bout du troisième verre, Wenkat se mit à parler politique
– “ça ne peut pas continuer comme ça, maugréa-t-il. Je suis au Stahlhelm¹. Je ne porte pas l’insigne, je ne peux pas m’engager publiquement avec mon cabinet. Mais ça ne change rien à l’affaire, il faut livrer le combat du désespoir.
– Vous n’irez même pas jusqu’au combat, dit Fabian. Vous en resterez au désespoir.
– Tu as peut-être raison ! s’exclama Wenzkat en donnant un coup sur la table. Dans ce cas, on coulera, tonnerre de Dieu !
– Je ne sais pas si le peuple sera d’accord, objecta Fabian. Je vous trouve bien audacieux de vouloir le naufrage de millions de gens parce que votre sens de l’honneur est aussi chatouilleux que celui d’un dindon vexé et que vous mourez d’envie de vous taper dessus.
– ça a toujours été comme ça dans l’histoire”

Le récit s’articule sur les errances de Fabian Jakob et de sa relation avec Cornelia - relation qui semble lui permettre de trouver un ancrage d’authencité dans une ville en perdition, mais qui bascule quand celui-ci perd son emploi, et qu’elle le quitte pour se mettre au service d’un producteur de cinéma, à la poursuite de ses propres ambitions.

– “dis quelque chose”, répéta-t-elle tout bas. Elle croisa les mains sur la nappe, entre les couverts en nickel.
Fabian continuait de se taire.
“Qu’est-ce que je vais devenir ? murmura-t-elle comme si elle se parlait à elle-même et qu’il n’était plus là. Qu’est-ce que je vais devenir ?
– une femme malheureuse qui mène une vie agréable, répondit-il d’une voix trop forte. Cela te surprend ? N’est-ce pas ce qui t’a amenée à Berlin ? Ici, rien ne se donne, tout s’échange. Pour avoir quelque chose, il faut se sacrifier.”

A la suite de cette rupture les errances de Fabian prennent une tournure plus sombre, hantée par la mort, sans issue, ponctuée par des épisodes tragiques.