Staline n’est quasiment jamais mentionné dans les 1000 pages de Pour une juste cause ; deux occurrences en tout et pour tout, toutes deux très courtes, presque lapidaires
On peut se demander ce qui a conduit Vassili Grossman à faire ce choix de l’absence - alors même que le sujet du roman est la bataille de Stalingrad, bataille emblématique du conflit à l’Est - et que la figure d’Hitler, fait l’objet de plusieurs apparitions, bien plus détaillées.
La nuit, après avoir conduit la brigade à Stalingrad, Krymov passa voir le commandant de brigade, le lieutenant-colonel Gorelik.
– Alors, vous avez été à la pêche en m’attendant, j’aurai de la soupe à l’esturgeon ? demanda-t-il.
Gorelik, qui aimait la plaisanterie et gardait toujours un ton moqueur et ironique avec son commissaire, ne sourit même pas. Il s’approcha de la porte et vérifia qu’elle fût bien fermée.
– Lisez, camarade Krymov, et signez pour attester que vous avez lu, dit-il, et il sortit de sa besace une feuille de papier bible pliée en deux.
C’était l’ordre de Staline.
Est-ce le fait que Staline ne peut pas être imaginé ? Ou bien la peur, en dressant le portrait du petit père des peuples, de risquer de passer sous les fourches de la censure, voire pire, la déportation au goulag ? Ou bien Staline est une figure quasiment divine, n’apparaissant dans le monde qu’au travers des apparitions fugaces, porteuses d’un message quasi-divin ?
Ou alors, peut-être, hypothèse que je préfère : Grossman, montre ainsi que la victoire s’est construite sans l’apport de la volonté de Staline. Voire, peut-être, malgré lui, grâce à l’engagement, la foi du peuple russe lui même.
Krymov, convalescent, tenait à peine debout ; il s’assit sur une barrière..
Un ordre militaire retentit au-dessus de la place. Le maréchal Boudionnny, chef du défilé, commença à passer les troupes en revue et à saluer. La revue terminée, Boudionny monta sur le Mausolée d’un pas rapide.
Staline s’approcha du microphone, prit la parole. Krymov ne put distinguer son visage : le brouillard et l’obscurité du matin l’empêchèrent de le voir. En revanche, ses paroles lui parvinrent.
– Mort aux occupants allemands ! dit-il en levant le bras. En avant, pour la victoire !
Les unités de combat défilèrent les unes après les autres devant le Mausolée de Lénine. Cette marche solennelle et grave de la troupe populaire eut lieu le jour où les légions hitlériennes se trouvaient devant Moscou.
Affiche de propagande soviétique de la seconde guerre mondiale - La Mère-patrie appelle (1941) - Irakli Toïdze