Petite réflexion à propos d’un passage de la préface d’Aurélien Bellanger de Bleak House (Charles Dickens)
Ce monde de la tromperie et du faux semblant, ce monde enchevêtré d’intrigues et croulant sous les déterminations humaines, c’est celui du roman policier, dont Bleak House constitue l’un des premiers spécimens. Et qu’est-ce qu’un roman policier, sinon l’affirmation la plus définitive de l’existence d’un monde humain, d’un monde où, des meurtriers aux victimes, toutes les causes et toutes les conséquences sont humaines ? Le roman policier, en cela opposé à la linéarité du roman picaresque, donne à voir un monde qui se replie sur lui même. C’est un roman obsédé par le remplacement des déterminismes anciens, surnaturels ou naturels, par les lois, bizarrement déréglées, du monde humain. C’est un roman qui rejoue sans fin les mêmes mystères de la chambre close – mystère dont la combustion spontanée de Krook constitue ici un cas exceptionnel. L’un des personnage les plus intéressants du roman sera ainsi un détective, c’est-à-dire un homme capable de considérer la ville moderne comme un nouveau terrain de chasse et de se mouvoir avec aisance à travers toutes ses couches sociales, qu’il suive la piste d’une fugitive – partie vers la campagne mais évidemment revenue vers la ville – ou qu’il opère, avec une irrésistible bonhommie, l’arrestation d’un suspect au milieu d’un déjeuner de famille.
Ce lien entre roman policier et roman d’apprentissage, ainsi que le sujet de la ville comme lieu du roman policier avait également été développé par Alain Lacombe dans Le roman noir américain.
Le voyage initiateur
Contrairement à d’autres genres littéraires, le roman noir a réussi à imposer une structure qui lie et développe les divers thèmes se référant à une structure donnée.
Le héros du roman noir découvrira sa vérité au cours d’un périple à travers se phantasmes. Une fois qu’il aura inventorié ses démons et ses peurs, l’homme se choisira un démon et une peur privilégiée : lui-même. L’itinéraire du héros aurait pu être celui des pionniers faisant reculer la “frontière” jusqu’au Pacifique. Il sera plus simplement celui de la conscience lançant un défi à l’aliénation d’un univers qui l’enferme dans ses contradictions.
L’apparente contradiction entre les deux propos est peut-être en réalité une affaire de perspective - le roman policier est opposé à la linéarité du roman picaresque - le roman d’initiation chez Lacombe - mais en étant centré sur le personnage lui-même (ce que Bleak House est peut-être, vis-à-vis il procède à l’initiation du personnage du détective évoqué ici - je ne le sais au moment où je lis ces lignes) le roman noir montre une forme de linéarité chez le protagoniste principal (détective, policier ou autre), dans sa découverte de l’univers dans lequel il évolue - la ville également -, univers qui est lui même fragmenté, incertain, labyrinthique… et couvert de noirceur.
Grâce à la ville, il est possible de se perdre, donc de se cacher, de se fondre à l’idée communément admise. Mais, grâce à une volonté réaliste, le personnage décrypte la ville et essaye de se conformer à ce qu’elle représente en tant que labyrinthe privilégié. D’autre part, le régionalisme peut s’exprimer en toute liberté. Certains romans noirs se sont employés à transcrire une vérité qui n’était pas celle des héros, mais celle de la cohabitation héros/personnage urbain.
“Une image du vieux Londres - Lower Fore Street (1965)"