Platonov (Безотцовщина) - Anton Tchekhov - (1878/80 - Russie).
Le titre original : Безотцовщина, est “littéralement le fait social de ne pas avoir de père” ; variante du titre de la pièce : Ce fou de Platonov1.
Il sagit d’une pièce de jeunesse - la première, écrite à 19 ans, inachevée, jamais jouée du vivant de son auteur, d’une durée hors norme (entre 3 et 5 heures, selon les commentateurs et metteurs en scène, voire plus). Son caractère inachevé et les effets de la traduction - en particulier celle d’André Markowicz lui donnant probablement une très grande plasticité dans les choix d’interprétation et de mise en scène.
La pièce est constituée de plusieurs actes ou tableaux, le premier tiers est consacré à la mise en place du contexte et peut ennuyer un peu le lecteur (qui peut par ailleurs se retrouver un peu perdu parmi la profusion des personnages), mais la pièce prend son envol ensuite, au moment où la fête qui lui sert de contexte se perd elle même dans l’alcool.
La pièce est centrée sur le personnage de Platonov, aristocrate déchu devenu instituteur, Don Juan presque malgré lui, cynique, enfant gâté, enfantin, indécis malheureux, et tragique. Platonov oscille entre un cynisme fleurtant avec une méchanceté semblant gratuite, un désespoir profond - il parle à plusieurs reprises de se suicider, et une indécision totale. Il se retrouve pris dans un écheveau de relations féminines avec différentes femmes de son entourage, sans sembler jamais arriver à lire ou assumer ses propres désirs, sa volonté propres : il promet tout à la dernière interlocutrice qui lui à parlé.
A ce titre, le 3e acte est probablement le plus parlant : au lendemain de la soirée d’ivresse, la gueule de bois, et défilent chez Platonov toutes les femmes qu’il a séduite (il semble les fuir en affichant distance et méchanceté, mais ne se rend que plus irrésistible ce faisant), toutes lui demandent de le suivre et il accepte à chaque fois, semblant totalement sincère, ce qui le place dans une situation impossible. Ainsi, il est condamné à trahir ou décevoir tout le monde, jusqu’au dénouement final. Chacune de ces femmes offre un visage de l’amour différent, un amour familial avec sa propre femme, presque bourgeois, fait d’apaisement, qui semble chaleureux, un amour interdit avec une femme mariée, qui se fait dans la fuite et la trahison, un amour plus libre avec une veuve, qui semble prête à partir en voyage et l’aventure.
Tous ces amours seront trahis, provoquant le désespoir et la solitude de Platonov, jusqu’au dénouement tragique.
Au delà de son attitude parfois flamboyante, son attitude et ses ressorts sont difficiles à saisir, ce qui explique probablement la multiplicité des interprétations, le personnage de Platonov est difficile à saisir : son désespoir est-il réel, l’objet d’un jeu de rôle, une façade ? Qu’est-ce qui l’explique : est-il malheureux en famille ? frustré de son destin ? Son attitude provocante est-elle une protection ? de la méchanceté gratuite ? Est-il sans limite par manque de figure paternelle, comme le laisse entendre le titre d’origine de la pièce, ou le symbole d’une société sans repère ?
Peu d’éléments permettent de trancher cette ambiguïté, laissant le personnage assez insaisissable, peu sympathique, et pourtant affichant une sorte d’immaturité le rendant un peu enfantin.
liens :
- La page wikipedia consacrée à la pièce de théâtre Platonov, celle consacrée à Anton Tchékhov
- Platonov, amour, haine et angles morts
- “Platonov”, miroir noir d’une société sans repères"
Points à approfondir (peut-être plus tard, probablement jamais, mais ce sont des sujets auquel je pense en écrivant la chronique) :
- Il y a peut-être quelque-chose à chercher du côté des figures féminines de cette pièce, très différentes les unes des autres, d’une modernité par moment très étonnante (insérer extrait p311)
ANNA PETROVNA. Allez, quand on boit, on boit… (elle remplit son propre verre) Si on boit, on crève, mais si on ne boit pas, on crève aussi, alors buvons… (elle boit.) Je suis une pocharde, Platonov… Du vivant de mon général, je buvais beaucoup… Je buvais, je buvais, je buvais… Et je boirais encore ! Hein ? Je te remplis le tien ? Mais non, il ne faudrait pas… ça nous lierait la langue, on ne pourrait plus parler… (elle s’assied.) Il n’y a rien de pire que d’être une femme évoluée… Une femme évoluée, sans rien à faire… Hein, qu’es-ce que je suis ? Pourquoi est-ce que j’existe ?
(Pause)
Je suis immorale malgré moi… Je suis une femme immorale, Platonov… (elle éclate de rire) Hein ? C’est peut-être pour ça que je t’aime, parce que je suis immorale… (elle se frotte le front.) Et je finirai mal… Les femmes comme moi finissent toujours mal… J’aurais dû être professeur, ou directeur de je ne sais quoi… On m’aurait mise diplomate, j’aurais retourné le monde… Une femme évoluée… et qui n’a rien à faire… Qui ne sert à rien, donc… Les cheveaux, les vaches, les chiens, ça sert à quelque chose, et, toi, tu ne sers à rien… Tu es de trop… Hein ? Pourquoi tu ne dis rien ? (Platonov - p311)