Lagos lady

La fabrique et le contrôle des comptes publics.

François Ecalle (qui est également le rédacteur des nombreuses fiches du site Fipeco, qui est une formidable source d’information pour qui s’intéresse aux finances publiques), revient dans ce livre sur sa carrière, au sein du ministère des finances puis de la cour des comptes.

Il dessine ici, à travers moult exemples issus de sa propre carrière, une sphère publique qui peut à la fois se montrer très compétente et investie (pour partie), mais aussi lourde, incroyablement inertielle et même par moment, d’une éthique assez douteuse. C’est probablement l’auteur qui résume le mieux dans la conclusion de son livre :

j’ai souvent l’impression d’écrire aujourd’hui, notamment dans mes billets sur le site de Fipeco, la même chose qu’il y a trente ou quarante ans dans les notes de la Direction de la prévision sur les grands sujets de politique économique. Le diagnostic, les enjeux et les recommandations sont très proches s’agissant de la politique budgétaire, de la protection sociale, de la fiscalité, de la politique de l’emploi… ou de politiques sectorielles comme celles de l’agriculture, du logement, de l’industrie, etc.
(…)
Sur les sujets plus microéconomiques, la lecture des rapports de la Cour des comptes ou des inspections ministérielles montre que les problèmes sont souvent les mêmes depuis quarante ans. La gestion publique a été peu améliorée (elle a surtout été informatisée), la réforme de l’État portée par la loi organique sur les lois de finances (LOLF) a échoué et les revues de dépenses publiques ont rarement permis de réaliser des économies significatives.

Les exemples de réformes mettant des années, voire des décennies à être implémentées sont innombrables (et hélàs, continuent vraisemblablement à l’être), François Ecalle attribue cette inertie à la fois aux priorités politiques changeantes, au gré des alternances… ou des JT, mais également à une intertie propre à l’administration : celle-ci est un paquebot, qui peut s’avérer difficile à manoeuvrer.

Pourtant la lecture peut également laisser entrevoir une facette peut-être moins engageante de la sphère publique, et laisser poindre, parfois, un doute sur ses intentions propres, une partie de cette intertie ne peut-être pas être, également, volontaire ? On trouve en effet de nombreux exemples où l’éthique de certains pans de l’administration (ou de certaines composantes de la sphère publique en générale, et je ne dis pas ici que l’ensemble de la sphère publique est concernée, le livre dresse également le portrait de professionnels compétents engagés et soucieux).

On peut par exemple citer, pèle mèle - certains résonnent encore aujourd’hui - l’obstruction de la SNCF à la remise de certain documents lors de contrôles de la cour,

J’ai donc demandé à la SNCF ses données sur les prix et trafics par origine et destination, ainsi que la documentation relative à son modèle de prévision.
Après plusieurs relances, j’ai fini par obtenir des données historiques sur les prix et tarifs et une présentation théorique d’un modèle de prévision que je pouvais trouver dans n’importe quel ouvrage d’économie des transports.

ou encore, les montages hasardeux de la RATP pour échapper à l’impôt,

Les usagers du métro parisien auraient sans doute été très surpris d’apprendre que des sociétés américaines étaient propriétaires des rames dans lesquelles ils se trouvaient. C’est pourtant ce que j’ai découvert avec stupétaction. Les montages financiers en question, dis de leasehold ou de lease in lease out, étaient très complexes et avaient évolué au cours du temps, mais ils reposaient presque toujours sur le schéma de base suivant :
La RATP louait ses matériels roulants à une société américaine pour une durée très longue (parfois plus de trente ans) et recevait immédiatement le produit actualisé de cette location sur la durée du contrat. Cette durée était assez longue pour permettre à la société américaine de revendiquer la propriété de ces matériels au sens du droit fiscal américain et de les amortir.
La réduction d’impôt sur les bénéfices obtenue par la société américaine grâce à l’amortissement des matériels lui permettait de les sous-louer à la RATP à un prix inférieur à celui auquel elle les louait elle-même à la RATP. Celle-ci lui versait immédiatement le produit de cette sous-location actualisé sur la durée du contrat.

ou enfin, l’emprise quasi mafieuse de la CGT sur certain ports français ou bien la question du contrôle aérien, encore d’actualité ces dernières semaines.

Les rémunérations et conditions de travail des grutiers et des dockers étaient très différentes. En pratique, leurs plannings n’étaient pas cohérents et il pouvait y avoir à un moment des grutiers et pas de dockers ou des dockers et pas de grutiers, ce qui empêchait dans les deux cas toute opération de chargement ou de déchargement.
Pour s’assurer la présence de grutiers, les sociétés de manutention leur versaient des « bakchichs » (terme figurant dans des documents administratifs) qui atteignaient en moyenne le tiers de leur rémunération versée par le PAM, elle-même nettement supérieure au salaire moyen en France à cette

L’ensemble laisse une impression assez désespérante, surtout dans la situation actuelle des comptes publics, et ne donne guère d’optimisme dans notre capacité à sortir par le haut de la probable crise qui se trouve devant nous.

Soljénitsyne

Le Prêteur et sa Femme, Quentin Metsys (1514)