Loin de Médine

Les oubliées d’un Islam naissant

Assia Djebar, dans ce roman, tente de donner une vie, un corps, à un certain nombre de personnage féminin de l’Islam naissant.

On y trouve un ensemble de récits, rêves, songes, comme autant de petites nouvelles, qui dressent le portrait d’une péninsule Arabique plus ouverte et diverse qu’imaginé, et peut-être même, plus diverse qu’elle ne peut l’être aujourd’hui.

Le destin de ces femmes est imaginé à partir de quelques bribes, hadits, commentaires issus de la tradition et des chroniques officielles, pour arriver à leur donner une chair, une existence, qui aura été effacée. Les destins sont divers, ainsi que les profils : guerrières, aventurières, prophétesses, concurrentes, mais aussi pieuses, soumises ou insoumises.

Si le récit propose une vision à la fois très poétique et vivante, on ressort pourtant de ce livre avec une sorte d’amertume, de désespoir, face à l’oublie auquel ont été confronté ces différents destins, peut-être même encore aujourd’hui. Comme si la survie de l’Islam ne pouvait passer que par l’amputation et l’effacement d’une moitié de notre humanité.

Le destin le plus emblématique de cette disparition est peut-être celui de Fatima, fille du prophète, qui malgré sa révolte, ne peut ni succéder, ni hériter.

« Non, accuse Fatima, vous prétendez me refuser mon droit de fille! » Elle pourrait aller plus loin encore, elle pourrait dire :
— La révolution de l’Islam, pour les filles, pour les femmes, a été d’abord de les faire hériter, de leur donner la part qui leur revient de leur père! Cela a été instauré pour la première fois dans l’histoire des Arabes par l’intermédiaire de Mohammed! Or, Mohammed est-il à peine mort, que vous osez déshériter d’abord sa propre fille, la seule fille vivante du Prophète lui-même !
Fatima, la dépouillée de ses droits, la première en tête de toute une interminable procession de filles dont la déshérence de fait, souvent appliquée par les frères, les oncles, les fils eux-mêmes, tentera de s’instaurer pour endiguer peu à peu l’insupportable révolution féministe de l’Islam en ce VIIe siècle chrétien!

Faima

Le portrait de Fatima Zahra, peint par Jules Lefebvre en 1883.