L’engrenage de la terreur réclame ses victimes.
Le roman décrit le destin de différent personnages dans l’époque de la terreur. On y trouve au centre Evariste Gamelin, jeune homme engagé dans la révolution jusqu’à l’exaltation.
Cette exhaltation finit par dévorer le jeune homme qui se transforme en monstre révolutionnaire, tout entier dédié à rendre victorieuse la révolution, ou du moins l’idée qu’il en a, quitte à sacrifier famille, amis, et même sa vie.
Sa soif d’idéal se transforme en férocité, au travers de procès de plus en plus expéditifs, où il envoie à la guillotine de plus en plus d’accusés, sur la base de simples dénonciations, d’éléments de preuve de plus en plus ténus. Le sentiment prends place sur la raison
Après un moment de trouble, Gamelin comprit ses nouveaux devoirs et s’accomoda à ses nouvelles fonctions. Il reconnaissait dans l’abréviation de la procédure les vrais caractères de cette justice salutaire et terrible dont les ministres n’étaient point des chats-fourrés pesant à loisir le pour et le contre dans leurs gothiques balances, mais des sans culottes jugeant par illumination patriotique et voyant tout dans un éclair. Alors que les garanties, les précautions eussent tout perdu, les mouvements d’un coeur droit sauvaient tout. Il fallait suivre les impulsions de la nature, cette bonne mère, qui ne se trompe jamais ; il fallait juger avec le coeur et Gamelin faisait des invocations aux mânes de Jean-Jacques :
– Homme vertueux, inspire-moi, avec l’amour des hommes, l’ardeur de les regénérer !
Ses collègues, pour la plupart, sentaient comme lui. C’étaient surtout des simples ; et, quand les formes furent simplifiées, il se trouvèrent à leur aise. Ja justice abrégée les contentait. Rien, dans sa marche accélérée, ne les troublait plus. Il s’enquéraient seulement des opinions des accusés, ne concevant pas qu’on pût sans méchanceté penser autrement qu’eux. Comme ils croyaient posséder la vérité, la sagesse, le souverain bien, il attribuaient à leurs adversaires l’erreur et le mal. Il se sentaient fort : ils voyaient Dieu.
Les dieux ont soif, de sang, de vengeance, de pureté : il faut les nourrir quitte à se perdre soi même, quitte à ce que la fidélité à l’idée ne passe par la transformation en monstre : et Gamelin accepte cette idée.
Evariste Gamelin devait entrer en fonctions le 14 septembre, lors de la réorganisation du Tribunal divisé désormais en quatre sections, avec quinze jurés pour chacune. Les prisons regorgeaient ; l’accusateur public travaillait dix-huit heures par jour. Aux défaites des armées, aux révoltes des provinces, aux conspirations, aux complots, aux trahisons, la Convention opposait la terreur. Les dieux avaient soif.
Un élément très frappant à la lecture du roman est de constater, vu d’aujourd’hui, la permanence de certains discours révolutionnaires, comme si ceux ci avaient une nature propre, invariable en fonction des contextes des différentes révolutions durant lesquelles ils peuvent être prononcés : lorsque la révolution peine à livrer ses promesses, qu’elle génère de la lassitude, de la crainte, de la peur, c’est alors qu’elle doit redoubler d’effort, être encore plus intraitable, absolue, quitte à remettre à demain les promesses non tenues, s’enfermant dans la dénonciation d’un complot, de ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, de ses traitres et quitte à devoir s’en remettre à une figure quasi-mythique ou mystique, un guide, un pur.
Certaines tirades semble pouvoir être transposées quasiment mot pour mot dans d’autres contextes historiques :
– Ma mère, dit Gamelin en fronçant le sourcil, la disette dont nous souffrons est due aux accapareurs et aux agioteurs qui affament le peuple et s’entendent avec les ennemis du dehors pour rendre la République odieuse aux citoyens et détruire la liberté. Voilà où aboitissent les complots des Brissotins, les trahisons des Pétions et des Rolands ! Heureux encore si les fédéralistes en arme ne viennent pas massacrer, à Paris, les patriotes que la famine ne détruit pas assez vite ! Il n’y a pas de temps à perdre : il faut taxer la farine et guillotiner quiconque spécule sur la nourriture du peuple, fomente l’insurrection ou pactise avec l’étranger. La Convention vient d’établir un tribunal extraordinaire pour juger les conspirateurs. Il est composé de patriotes : mais ses membres auront-il assez d’énergie pour défendre la patrie contre ses ennemis ? Espérons en Robespierre : il est vertueux. Espérons surtout en Marat. Celui-là aime le peuple, discerne ses véritables intérêts et les sert. Il fut toujours le premier à démasquer les traitres, à déjouer les complots. Il est incorruptible et sans peur. Lui seul est capable de sauver la République en péril.
L’appel des dernières victimes de la Terreur dans la prison Saint Lazare - Müller, Charles-Louis