Le Village de l’Allemand - Boualem Sansal - (2008).
Suite à son décès, assassiné dans un raid du GIA lors de la décennie noire, les deux fils de Hans Schiller découvrent successivement le passé Nazi de leur père
D’abord, l’ainé, Rachel (contraction de Rachid-Helmut), qui découvre une valise dans la maison des parents décédés, laquelle contient les preuves du passé Nazi de son père. Il part à la recherche de ce passé, suivant les traces de son père dans l’Allemagne nazie, son passé de chimiste et de bourreau, jusque dans l’univers concentrationnaire, ainsi que sa fuite en 1945 jusqu’en Algérie, via la Turquie et l’égypte. Cette quête, qui est autant celle de la trajectoire de son père que celle de la prise de connaissance de la réalité du projet de destruction ds juifs, provoque chez lui un sentiment de honte et de culpabilité indépassable, qui le pousse à détruire son quotidien (assez bourgeois), son travail, les relations avec ses proches, jusqu’à provoquer son suicide. Se dire “je suis le fils d’un criminel de guerre” n’est pas comme s’entendire : “tu es le fils d’un criminel de guerre ! Coupable du génocide !!”
A la suite de son suicide, Malrich (contraction de Malek-Ulrich) chercher à retracer le parcours de son frère, grâce au journal que celui-ci a laissé. Mais son parcours est sensiblement différent. En effet, Malrich ne s’inscrit pas dans un univers bourgeois, il est un cabossé de la banlieue, plus rudimentaire, moins cultivé, disposant probablement moins d’outils pour s’approprier cette histoire. Il arrive cependant à transformer ce parcours en révolte, en but personnel, qui est celui de faire connaître cette histoire - celle du génocide - à travers la mise en lumière de la réalité de la présence de mouvement islamistes dans la banlieue dans laquelle il vit : Ont-il seulement seulement entendu parler de l’extermination des Juifs par les nazis ? Ou sont-ils, comme je l’étais, ignorant de tout, ne sachant que ce que l’imam a pu leur en dire ? Mais lui-même, ce perroquet de minaret, que sait-il ? Je ne pense pas que le gouvernement enseigne ces choses dans ses écoles, les enfants pourraient s’émouvoir, se prendre de sympathie pour le Juif, et de là appréhender certains réalités. Je crois plutôt qu’il maintient les esprits fermés à toute lumière".
Ce dernier point - la mise en parallèle du projet nazi avec le projet islamiste, qui n’est pas nécessairement sans fondement au vu de la collaboration passée entre les deux mouvements - est peut-être l’arc (secondaire) le moins convainquant du roman, il ne va pourtant pas jusqu’à provoquer de malaise : ce parallèle étant porté par un personnage littéralement en construction - évolution que l’on voit à travers la transformation de l’écriture de Malrich au travers du roman : il y a une forme de maladresse ici, qui est celle du personnage. Boualem Sansal lui même prend quelques précautions avec ce parallélisme dans une interview, tout en l’assumant.
C’est peut-être dans cet esprit, qu’il faut lire ce roman, saisir quel est en est le projet et ne pas y chercher autre chose (ce que j’ai pu avoir tendance à faire, durant ma propre lecture) : “Pour que les lecteurs comprennent, surtout ceux qui ne savent rien sur cette question - je pense aux Algériens, mais aussi à tous ceux du Maghreb et du monde arabe à qui ce livre est destiné -, je voulais qu’ils “séjournent” durant une dizaine de pages, pour sentir toute l’horreur de cette mécanique. Et leur démontrer que ce n’est pas qu’un crime de guerre, mais bien plus que cela.” “Rien ne peut lui être comparé. En revanche, je pense qu’il y a de nombreuses similitudes entre nazisme et islamisme. Pour moi, ce sont les mêmes techniques, les mêmes instruments.”. Un projet peut-être voué à l’échec ou en tout cas, dont l’issue est très incertaine, et dont la génèse semble s’inscrire dans la trajectoire propre de l’écrivain : “Je sais que le chemin sera long avant que mon roman atteigne ses destinataires. Dans dix ou quinze ans, peut-être produira-t-il ses effets.1”
“Le Caravage - Le Sacrifice d’Isaac - (1603)"
liens :
Points à approfondir (peut-être plus tard, probablement jamais, mais ce sont des sujets auquel je pense en écrivant la chronique) :
- La trajectoire de l’écrivain, et la façon dont son oeuvre s’inscrit dans ce combat. D’une façon plus générale, les figures littéraires “libérales” du monde arabo-musulman, comme contre modèle à la figure réactionnaire qui semble être dominante, aujourd’hui.
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ces citations tirées de l’article du monde - Boualem Sansal, de Sétif à Auschwitz ↩︎