Troisième opus du cycle Némésis, Philip Roth propose ici le roman d’une chute, aux causes mystérieuses et pourtant inexorable.
Paul Simon Axler est un comédien talentueux, doué, qui perd assez mystérieusement sa capacité à jouer, le rendant incapable de monter sur scène et de continuer à exercer son métier. Flirtant d’abord avec l’idée d’en finir, après un court séjour dans une institution psychiatrique, il rencontre à sa sortie une femme – Pegeen – plus jeune que lui, qui semble lui offrir une sorte de deuxième chance, un nouveau départ - même si cette relation n’est pas sans ambiguïté ni zones d’ombres : la différence d’âge, le fait qu’il ait été amis de ses parents, qu’elle ait été, avant de le rencontre exclusivement lesbienne. Il décide cependant de s’engager, entrevoyant dans cette nouvelle, et très probablement dernière, relation, un souffle susceptible de lui redonner le souffle qu’il a perdu. Pourtant, brutalement, Pegeen s’en va.
Comme il l’avait dit au docteur Farr, et comme il s’en était convaincu lui-même en se donnant tout le mal possible pour détecter une cause pendant leurs séances, c’était sans la moindre bonne raison qu’il avait perdu sa magie en tant qu’acteur, et c’est de façon tout aussi arbitraire que son désir de mettre fin à ses jours s’était éloigné, du moins pour l’instant. “Rien n’a de bonne raison de se produire, dit-il au médecin, plus tard ce jour-là. On perd, on gagne – tout cela n’est que hasard. La toute puissance du hasard. La probabilité du retournement. Oui, l’imprévisible retournement, et son pouvoir.”
Comme les précédents romans du cycle némésis, Un homme et Indignation, le roman joue sur les bifurcations du destin, la difficulté à les appréhender, le brouillard dans lequel se meuvent les personnages. Ici, comme dans Un homme Axler doit faire face à son propre déclin, sa propre finitude, même s’il prend une forme différente. Le déclin est inévitable – il n’est qu’un homme – mais reste insupportable, et les personnages se débattent pour le retarder, le conjurer.
La grande différence entre ce roman est les précédents est que les motivations des autres personnages restent ici très opaques, illisibles, au personnage comme au lecteur : qu’est-ce qui motive Pegeen à vouloir entrer dans une relation hétérosexuelle, avec un homme bien plus âgé qu’elle-même ? Pourquoi le quitte t-elle aussi brutalement ? Nous n’avons, pas plus que Axler, de fenêtre sur ces motivations, seulement l’étrangeté de ses actions, nous laissant à la fois perplexe et un peu révolté.
Félix Vallotton, 1909 - La loge de théatre, le monsieur et la dame