Quelques pensées sur Marx, au travers la lecture du Marxisme de Marx, au tiers de la lecture de l’ouvrage.

J’ai cette impression que la démarche de Marx est essentiellement une démarche morale, bien plus qu’économique. Elle part d’une indignation, qui est que le monde est scandaleux, et établit que ce scandale vient d’une illusion : le monde réel est masqué derrière une multitude de faux semblants.

Ces faux semblants concernent différents champs - qui sont ceux que Marx tente de débusquer au travers les étapes de sa pensée : la religion, le droit, la philosophie, l’histoire et, comme clé de voute, l’économie. Le coeur du raisonnement est à chaque fois similaire : en dévoilant la vérité qui est masquée et le scandale qu’elle recouvre, la révolution adviendra, c’est une question presque déterministe

La réforme de la conscience consiste uniquement à donner au monde conscience de sa conscience, à l’éveiller du rêve dans lequel il est plongé à son propre sujet, à lui expliquer ses propres actions. Tout notre objectif ne peut consister, comme c’est d’ailleurs le cas dans la critique que Feuerbach fait de la religion, qu’à revêtir d’une forme humaine consciente les questions religieuses et politiques.
Notre devise doit donc être: réforme de la conscience non par des dogmes, mais par l’analyse de la conscience mystique, inintelligible à elle-même, qu’elle se manifeste dans la religion ou dans la politique. Il apparaîtra alors que depuis très longtemps le monde possède le rêve d’une chose dont il doit maintenant posséder la conscience pour la posséder réellement. Il apparaîtra qu’il ne s’agit pas d’un très grand trait suspensif entre le passé et l’avenir, mais de la mise en pratique des idées du passé. Il apparaîtra enfin que l’humanité ne commence pas une tâche nouvelle, mais achève son ancien travail en en ayant conscience (KM)

Le monde est indéniablement scandaleux, ou peut-être vu ainsi. Encore plus à l’époque où il écrit, au moment de l’industrialisation. Le monde du travail y est particulièrement dur, et provoque alors un véritable bouleversement des sociétés. Misère du prolétariat, conditions de travail atroces, travail des enfants, journées interminables (les journées de travail peuvent durer jusqu’à 15h, 6 jours sur 7), avènement de l’age de la machine, urbanisation cahotique. Il y a, pour tout dire, de réelles raisons de trouver tout ceci aliénant. La question de savoir comment sortir de ce scandale est alors une question tout à fait légitime, c’est peut-être même une question politique critique, centrale.

Par ailleurs, au delà du rythme du travail, il y a avec l’industrialisation un détachement entre l’action et le produit. Les tâches se morcellent, le produit devient impersonnel, l’organisation via le salariat détache l’acte de production du revenu, de l’objet produit - la marchandise - les liens sociaux peuvent sembler se détisser comparativement à la société rurale d’avant. Tous ces éléments sont bien réels et, à bien des égards, irriguent encore nos débats sur la nature du travail de nos jours (cf. par exemple nos interminables débats sur les bullshits jobs)

Cependant, il me semble qu’il bute sur quelques écueils et quelques questions qui m’apparaissent difficile à lever :

D’une part, il développe une vision presque déterministe de l’histoire, qui semble nier l’agentivité de l’homme, sa capacité à influer son état présent, sur son avenir. Mais dans le même temps, la recherche de la révolte doit être active, la révolution provoquée. Ceci peut sembler paradoxal, mais il semble que que ce paradoxe puisse être levé, justement par le fait que l’action se porte sur et est rendue possible par le dévoilement des relations sociales et économiques induites par le régime capitaliste-bourgeois, et de leur nature réelle et scandaleuse. Il faut Surmonter la philosophie pour la réaliser (KM).

Ainsi, avec l’avènement du communisme pour surmonter le capitalisme, il faut abolir la propriété privée, en elle même génératrice d’aliénation, de toutes les aliénations. L’Etat devient alors l’unique vecteur des “relations réelles”, de l’histoire, de l’humanisme achevé. Cette dimension, authentiquement anti-libérale (au sens classique du terme) prend des accents presque religieux ou prophétiques.

Le communisme, abolition positive de la propriété privée (elle-même aliénation humaine de soi) et par conséquent appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme; donc retour total de l’homme pour soi en tant qu’homme social, c’est-à-dire humain, retour conscient et qui s’est opéré en conservant toute la richesse du développement antérieur. Ce communisme en tant que naturalisme achevé = humanisme, en tant qu’humanisme achevé = naturalisme; il est la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme, la vraie solution de la lutte entre existence et essence, entre objectivation et affirmation de soi, entre liberté et nécessité, entre individu et genre. Il es l’énigme résolue de l’histoire et il se connaît comme cette solution (KM)

Enfin, de façon sous-jacente et implicite, il semble s’appuyer sur une vision quelque peu idyllique de l’homanité : il sagit de trouver, ou retrouver l’homme réel, au delà de l’homme aliéné ; cette démarche ressemble à une promesse de retour à la terre promise : retrouver la vérité des relations, du collectif…. en résumé, de l’homme bon. Il semble ainsi s’inscrire dans les traces de Rousseau, La nature a fait l’homme heureux et bon, mais […] la société le déprave et le rend misérable (JJR), même s’il s’en défend (voir l’extrait ci-dessous).

Mais la terre promise Communiste est-elle réellement le paradis espéré ? L’Eden perdu ? Le travail aux champs pré-industriel n’était-il pas lui-même déjà aliénant ? L’Etat comme unique force d’organisation collective ne peut-il pas devenir, lui aussi, aliénant (comme le montrera tragiquement la suite de l’histoire) ?. A titre d’exemple, le travail artisanal, s’il a une indéniable force sur le plan du sens du travail, s’il se montre ainsi vraisemblablement moins aliénant, ne permet-il pas de ne produire que des marchandises de luxe, accessibles uniquement à une élite ?

L’athéisme et le communisme ne sont pas une fuite une abstraction, une perte du monde objectif engendré par l’homme, une perte de ses forces essentielles qui on pris une forme objective. Ils ne sont pas une pauvreté qui retourne à la simplicité contre nature et non encore développée. Ils sont bien plutôt, pour la première fois, le devenir réel, la réalisation devenue réelle pour l’homme de son essence, et de son essence en tant qu’essence réelle (KM)

L’entraide et l’affection mutuelle

« L’entraide et l’affection mutuelle poussent activement la production », 1954