Le Commis - Bernard Malamud.
Le récit d’une rédemption, d’une conversion : après avoir braqué l’échoppe un peu misérable, Frank Alpine est pris de honte et de remord et va chercher à aider l’épicier à redresser son commerce.
Je sort de ce récit avec deux impressions :
L’impression d’un écrasement des individus par la destinée, voire la prédestination. Il n’y a pas de rêve américain, ici : il n’y a qu’une lutte, qui semble perdue d’avance, pour la survie, pour rester la tête un peu hors de l’eau, sans vraiment de perspective pour s’en sortir. Un monde d’ailleurs très limité : toute l’action se passe dans une boutique au bord de la faillite, le seul horizon est la boutique qui se trouve de l’autre côté de la rue, ou jamais très loin.
– Etre jeune, dit Helen, c’est tout désirer et tout espérer, c’est se réveiller le matin avec la certitude qu’il vous arrivera des choses merveilleuses. C’est cela que j’ai perdu. Maintenant, en me réveillant, je sais que la journée se passera comme la veille et, ce qui est encore pire, comme le lendemain.
– Alors quoi ? Tu te prends pour une grand mère ?
– J’ai l’impression que le monde s’est rétréci autour de moi.
La seconde impression est l’opacité des motivations et de l’identité de certains personnages du roman. une opacité un peu flottante, comme si rien n’était jamais totalement clair, lisible. Si la motivation initiale de Frank Alpine à aller aider l’épicier est assez limpide - la honte, le remord - il est plus difficile de comprendre ce qui le pousse à s’entêter autant alors qu’il est souvent rejeté. De même, les motivations de l’épicier le poussant a l’accueillir avec autant de persévérance sont un peu mystérieuses : la motivation pécuniaire semble bien présente (Frank travaille gratuitement pour une bonne part, et son arrivée coincide avec un rebond des vente de la boutique), mais elle ne semble pas totalement satisfaisante. Morris va même jusqu’à affirmer que ce qui le fait souffrir, c’est le sacrifice que Frank Alpine fait pour lui en l’aidant de la sorte.
“En fait, qu’est-ce qu’un juif ? Voilà ce que je voudrais savoir.”
Devant une question aussi embarrassante, Morris se sentit une fois de plus honteux de son ignorance, mais comment l’éluder ?
– “Mon père disait que pour être un bon juif, il suffit d’avoir un bon coeur.
– Quoi ?
L’important, c’est la Torah, la Loi. Un Juif doit croire à la Loi.
Et pourtant, s’il donne cette définition, Morris lui même est très peu pratiquant. Il ne va pas à la synagogue, ne mange pas casher, grignotte occasionnellement une tranche de jambon parce que *ça ne signifie plus rien, la seule chose qui me préoccupe est de suivre la Loi.” : l’important, est d’être bon et honnête. Ceci qui semble être une prescription que pourraient revendiquer beaucoup de religions, et pourtant, Morris ne semble jamais remettre en question sa propre judéïté : s’il peine à définir ce qu’est cette identité, il est absolument certain d’être juif.
L’opacité des motivations se retrouve également dans la clôture le roman. En effet, Si le roman évoque la quête d’une rédemption de Frank Alpine, celle-ci semble trouver son aboutissement dans la scène finale, qui décrit la conversion de façon très prosaïque, abtupte, sans aucune indication de l’état d’esprit du personnage. Cette cloture du roman la rend presque décevante pour le lecteur, en tout cas insaisissable en ce qui concerne les motivations de Frank : “Un jour d’avril, Frank se rendit à l’hôpital et se fit circoncire. Pendant deux jours, il se traîna pitoyablement avec une brûlure entre les jambes. La douleur qui l’enrageait enfiévra son esprit et provoqua l’inspiration. Après la Pâque, il se fit Juif.”
Woman Ironing (La repasseuse) - Picasso (1904) (source)