Recueil de chroniques publiées Linda Lê, un voyage au gré de ses lectures, teintées d’inquiétude.
Au lendemain d’une rupture d’anévrisme, LL déclare « Je me suis sorti de là en me disant que seul le travail m’importait, désormais. Je lis avec encore plus d’avidité, mais moins comme si les livres allaient me sauver que comme si je devais faire un puzzle de tous ceux que je lis, construire un socle » ; et le travail de lire, ici, semble littéralement titanesque.
Lectrice insatiable, ses chroniques dessinent en creux un portrait de leur auteur (comme certains journaux, peu intimes, peuvent le faire) à travers la recherche du sens porté par le geste de la création : ce que c’est qu’écrire, lire : c’est peut être pour cette raison que LL s’évertue sans cesse à replacer l’œuvre dans son contexte, parmi les autres œuvres des écrivains cités, et parmi certains commentaires qu’ils ont pu générer, comme si par cet exercice, il y avait la possibilité d’embrasser une forme de complétude jusqu’à, peut-être, rendre parfois les chroniques un peu trop compactes.
Les écrivains ici viennent de tous les horizons, époques, pays (avec, peut-être, une prépondérance de l’Europe centrale et du sud, mais je n’ai pas compté), quel est leur point commun ?
[Dalino Kis] avait cité à mainte reprise Ivo Andrić, pour qui être écrivain c’est “placer entre soi et les autres un tas de papiers imprimés et une vraie montagne d’inexactitudes et de malentendus”
Une déclaration que Romain Gary, sans aucun doute, aurait pu reprendre à son compte : la littérature, un moyen de cacher du réel, de se cacher au réel ou d’échapper à l’oubli ?
Il ressort de l’ensemble un sentiment d’inquiétude, celle que l’on peut ressentir lorsqu’on n’est pas sûr d’avoir tout lu ou parfaitement clos une collection - exercice parfaitement impossible puisque qu’il reste toujours un morceau d’inconnu à explorer, dénicher, comprendre, lier. Si l’exercice est impossible, ceci ne veut pas dire qu’il soit vain : plutôt qu’espérer clore le sujet, il convient de l’explorer ; Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur.. Tout nous échappe, finalement ; et feindre permet de remplir une vie ou au moins une oeuvre. Peut-être que celle-ci, plus tard, nous ramènera à la raison face à la folie du monde. Ce n’est pas une bien grande chose sur laquelle s’appuyer mais il n’y a pas beaucoup plus à se mettre sous la dent.
Dans son texte sur Leskov intitulé “Le conteur”, Walter Benjamin rappelle que l’art de conter présente un caractère très artisanal, qui est aussi l’art de reprendre les histoires qu’on a entendues : l’expérience transmise de bouche en bouche est la source à laquelle tous les conteurs ont puisé. Les plus grands d’entre eux sont souvent aussi ceux qui rapportent les faits de la façon la plus sèche. Si modestes que soient ces contes, il ressemblent, dit Benjamin, à “ces graines enfermées hermétiquement pendant des millénaire dans les chambres des pyramides, et qui ont conservé jusqu’à aujourd’hui leur pouvoir germinatif”.
Edward Hopper - Interior