La nef des fous - Katherine Anne Porter - (1962 - Etats Unis).
Anne Katherine porter est un écrivain du sud des états unis, née au Texas en 1890, essentiellement des nouvelles et un unique roman, objet du présent livre. Ce roman, publié en 1962 après 20 ans d’écriture, basé sur sa propre expérience d’un traversée de l’Atlantique entre le Mexique et l’Allemagne en 1931.
Le titre du roman est basé sur un ouvrage éponyme de Sébastien Brant à la fin du XVe siècle :
Publié par Johann Bergmann d’Olpe, pendant le carnaval à Bâle, ce récit versifié recense divers types de folie, brossant le tableau de la condition humaine, sur un ton satirique et moralisateur. Il mélange l’ironie et le sermon, le rigorisme et l’humour et est à la fois inspiré par l’esprit de la Réforme et par la littérature populaire, de colportage, avec ses proverbes dialectaux.
L’esprit de l’œuvre est pessimiste, l’auteur ne croit pas que les hommes puissent s’amender, mais il ne peut s’empêcher de s’indigner, de protester. Il ne cherche même pas à corriger les travers qu’il dénonce, sans vouloir faire de concession en nuançant entre les péchés véniels et ceux mortels. Tous mènent également à la perte.
Il sait que le bateau va, simplement, vers son naufrage. Cette métaphore, thème principal du livre, disparait d’ailleurs bien vite, au profit d’une énumération, elle-même non exempte de redites. (source)
“Bosch - Nef des fous - (1500-10)"
On retrouve ici le même cadre, porté dans le contexte de l’entre deux guerre, sous l’ombre menaçante de la montée du Nazisme et du désastre à venir, même si les personnages ne semblent pas conscients - à quelques exceptions près.
En effet, l’ouvrage met en scène un ensemble de personnages de la haute société, dont aucun n’est réellement sympathique, venant d’horizons différents et pris au piège d’un huis clos qui les laisse face à eux mêmes, leur propre folie et leur propre égoïsme : le reste des passagers de seconde classe est présenté comme une foule indistincte et vulgaire, légèrement menaçante, tenue à l’écart. Le seul personnage de seconde classe qui est nommé décède d’ailleurs dans le sauvetage pathétique d’un chien qui a été jeté par dessus bord ; les passagers de première classe oubliant son nom aussi vite que l’événement lui-même.
La trame narrative est peu structurée, faite de vignettes semblant sans lien les unes avec les autres, successivement centrées sur chacun des personnages qui semblent en permanence enfermés dans leurs propres obsessions. On y devine en filigrane et à des degrés divers l’égoïsme, le mépris du monde qui n’est pas le leur, leur antisémitisme, leur inconsistance.
Car il avait découvert chez Hansen quelque chose qu’il avait supposé latent dans la plus part des personnes, que leurs abstractions, leurs généralisations, leur ardent besoin de Justice ou leur haine de la tyrannie ou d’autre chose déguisaient le plus souvent un vif ressentiment personnel dont la cause était bien éloignée du sujet qui était le thème de la discussion.
Ce trait élémentaire de la nature humaine concernait autrui, il ne se l’appliquait pas à lui-même. Son propre sort était unique, il lui était spécial, en dehors de toute règle. Les sentiments qu’il lui inspirait ne pouvaient se discuter, n’étaient soumis à d’autres jugements que le sien, et ne sauraient être comparés un seul instant aux médiocres petits ennuis de Hansen.
Le roman est souvent présenté comme une métaphore annonçant le nazisme, pourtant, les personnages eux-même n’en semblent pas conscients : “les hommes font l’histoire mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font”. Le Nazisme en tant que tel n’est d’ailleurs jamais nommé, les seuls indices qui apparaissent en fond étant l’antisémitisme récurrent d’une grande partie des personnages - qui les poussent à exclure de la vie de la croisière - mondaine ou normale - et à manifester leur mépris envers le seul passager juif ou encore cet autre passager marié à une femme juive. Ce dernier personnage, Freytag, semblant être le seul à disposer d’une conscience du moment historique à venir :
– … ma femme est juive, voyez-vous, et nous quittons l’Allemagne pour de bon…
– Mais pourquoi ? demanda Mrs Treadwell.
– Sans doute n’est-ce pas réellement urgent, dit Freytag comme pour se disculper, mais j’aime mieux prendre mes dispositions et partir pendant qu’il est encore temps.
– Temps ? fit Mrs Treadwell sans réfléchir. Que se passe t’il ?
Alors elle eut un coup au coeur car elle connaissait d’avance la réponse et ne voulait pas l’entendre.
– Oh, toujours les mêmes signes et présages, dit Freytag qui regrettait déjà d’avoir parlé, car la femme séduisante, à l’air intelligent qui était près de lui paraissait remarquablement obtuse et apathique. Des avertissements d’un genre ou d’un autre, rien de trop sérieux, je suppose, mais nous… (nous ? se demanda-t-il) avons l’habitude de nous tenir sur nos gardes.
A la fin de la traversée, dans le contexte du huis clos généré par la croisière, leur désinvolture prend une tournure grotesque et qui se matérialise dans la soirée de gala censée clore la croisière et rendre hommage au commandant : loin de trouver de l’insouciance, l’équipage des passagers se ridiculise, emporté par l’effet de l’alcool, des déguisements, du huis clos.
Contrairement au poème de de Brant, l’ouvrage ne se termine pourtant pas par un naufrage, autre que celui de l’Histoire à venir que le lecteur connaît mais qui reste inaccessible aux différents personnages : chacun semble reprendre sa vie et ses préoccupations là où il les avait laissée, sans avoir pris conscience de l’ombre qui plane sur eux, leur vie, leur monde, malgré ces quelques signes affleurant de temps à autre.
C’est un nouvel hebdomadaire consacré au commerce des vêtements, mais qui s’occupe aussi de choses littéraires et intellectuelles. Il y a une chronique qui s’intitule le Nouveau Monde de Demain, et il commande des articles aux meilleurs écrivains toujours sur le même sujet pour qu’il soit examiné de tous les points de vue. Par exemple cette idée : si nous pouvons trouver le moyen de chasser tous les Juifs d’Allemagne, notre grandeur nationale pourra s’affirmer et nous serons demain en possession d’un monde libre. N’est-ce pas merveilleux ?
“Ship of fools, film de Stanley Krame - (1965)"
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