La guerre de sécession - Vincent Bernard

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La guerre de sécession - Vincent Bernard

Portrait d’une guerre assez méconnue en France

Le livre retrace le déroulement de la guerre de sécession, conflit qui a confronté le sud confédéré aux état unionistes du nord des Etats unis. Guerre dont la nature peut-être difficile à déterminer, guerre civile au Nord ou guerre d’indépendance au sud ("le sud était mon pays" pourra par exemple déclarer John S. Mosby, officier de cavalerie, Vincent Bernard parle de la “Grande guerre Américaine”).

Le conflit est abordé sous tous ses angles, militaire, bien évidemment, sur le front terrestre - particulièrement meurtrier - mais également naval, et aussi les fronts économiques, diplomatiques ou encore sociaux et sociétaux. Sur ce dernier point, la question de l’esclavage est bien évidemment traitée, le conflit constituant un véritable point d’inflexion dans la longue histoire de son abolition, les trajectoires Unionistes et confédérées montrant déjà une très grande divergence face à la question de cette “institution particulière” :

Sur la rive droite du fleuve, le Blanc est obligé de vivre par ses propres efforts, il a placé dans le bien-être matériel le but principal de son existence […] tourmenté du désir des richesses, on le voit entrer avec audace dans toutes les voies que la fortune lui ouvre […] il y a quelque chose de merveilleux dans les ressources de son génie, et une sorte d’héroïsme dans son avidité pour le gain. [L’américain de la rive gauche quant à lui :] ne méprise pas seulement le travail, mais toutes les entreprises que le travail fait réussir ; vivant dans une oisive aisance, il a les goûts des hommes oisifs ; l’argent a perdu une partie de sa valeur à ses yeux ; il poursuit moins la fortune que l’agitation et le plaisir ; il aime passionnément la chasse et la guerre […]. L’esclavage n’empêche donc pas seulement les blancs de faire fortune, il les détourne de le vouloir (Martin citant Alexis de Tocqueville dans Tocqueville face à l’esclavage et au colonialisme

Si cette question était l’objet d’une différence culturelle profonde entre les deux blocs, elle ne se résume pas pour autant à une simple guerre entre abolitionnistes et esclavagistes. En effet, bien qu’abolitionniste, le Nord ne s’était pas pour autant totalement affranchi de cette institution : “là où certains noirs sont libres, affranchissement ne signifie pas égalité des droits. Partout demeure l’emprinte, plus ou moins profonde, de l’inégalité entre “races”.”. Le droit de vote n’est pas totalement accordé (il faut disposer d’un patrimoine minimum pour y accéder), et même dans les état où il a été aboli, il a persisté, au moins de façon résiduelle, pendant de longues années, voire décennies. Lorsqu’un nouvel état rejoint l’union, cette question peut ressurgir autour de deux problématiques : d’une part, les état entrants peuvent souhaiter conserver cette “institution” ; par ailleurs, la modification de l’équilibre au sein de l’union, les état abolitionnistes devenant majoritaires.

Par ailleurs, il existe également des tensions plus “populaires”, liées au risque de voir arriver une main d’oeuvre peu chère, qui avive les tensions sociales ; enfin, même dans les états de l’Union, le racisme est encore prégnant. En 1855, dix ans avant le conflit, Frédérick Douglas pourra par exemple affirmer :

Même dans la gestion de la cause antiesclavagiste, il est jugé absurde qu’un homme de couleur prétende à plus que suivre les directives données par ces hommes supérieurs… Une chose est certaine; que nous soyons capables ou ayons les dispositions naturelles pour nous élever d’une condition basse vers un haut niveau de civilisation, personne ne peut répondre pour nous à cette question. Nous devons leur montrer ce que nous sommes capables de devenir; leur montrer que nous sommes d’habiles architectes, des penseurs profonds, des créateurs et des découvreurs d’idées, et toutes autres choses liées à un haut niveau de civilisation. Ceci est bien plus important que tous les discours en notre faveur par nos amis blancs.

De même, une partie de l’abolition de l’esclavage au Nord aura été “résolu”… en revendant les esclaves aux états du sud. Pour autant la situation des esclave au sud. Ces ambiguités du nord ne doivent toutefois pas le caractère systématique, brutal et violent de l’institution dans le sud, où elle constitue une véritable part de l’identité des états.

Un enfer sur terre, tentant de se parer des atours d’une discipline éducative sur fond de paradis de verdure et de fleurs. « Je me demande si c’est un péché de croire l’esclavage une malédiction pour n’importe quelle terre », confie en 1861 l’épouse du planteur de Caroline du Sud Mary Chesnut à son journal dans un moment de déprime, ajoutant ce qui constitue sans doute l’une des plus explicites condamnations directes de l’« institution particulière » jamais écrite par une sudiste : « Il n’y a pas un mot de faux sur cette institution détestée dans la bouche de [Charles] Sumner » (élu du Massachusetts au Congrès et figure de proue abolitionniste). Ces réalités sont constitutives de cette organisation sociale dont nombre de sudistes ont parfaitement conscience, mais où ils affectent de voir, selon la nature des mauvais traitements, une « discipline nécessaire à l’élévation des Noirs », ou qu’ils balaient comme de regrettables excès. S’il est toujours tu et socialement réprimé, le viol d’esclave n’est ainsi condamnable que s’il constitue un « abus de bien d’autrui » aux yeux du « propriétaire ». « L’esclavage est terrible pour les hommes. Il l’est bien plus encore pour les femmes », souligne encore Harriet Jacobs, ancienne esclave de Caroline du Nord, dans une formule si lourde de sous-entendus, ajoutant : “Les nordistes ne savent rien du tout de l’esclavage. Ils pensent qu’il s’agit seulement d’une détention perpétuelle. Ils n’ont aucune idée de la profondeur de la dégradation contenue dans ce mot. S’ils savaient, ils ne cesseraient jamais leurs efforts jusqu’à ce qu’un si horrible système soit renversé.”

La guerre provoque un grand chambardement, sur cette question, par différentes vecteurs : sous la pression du besoin de troupes, les noirs finissent par rejoindre l’armée, et surtout à combattre - il devient alors difficile de refuser une pleine citoyenneté à des personnes qui ont été sur le champ de bataille pour défendre la nation, avec un certain succès “Je ne doute pas qu’avec de bons officiers, ils feront de bonnes troupes”, commente sobrement Grant, évoquant leur “vaillance”..

Au sud, la question est plus complexe : la question de la conscription provoque un risque de laisser dans les plantations un grand nombre d’esclaves, sans l’encadrement des maîtres. La question de l’enrôlement dans l’armée se pose aussi… les noirs sont alors réquisitionnés, mais cantonnés aux travaux indirects, logistiques, fortifications : il était inenvisageable de leur donner des arbres. Par ailleurs, l’armée confédérée connaîtra de nombreuses défections de sa population noire, plus encline à rejoindre le nord qu’à combattre pour ses (anciens) maîtres…

Ainsi, cette guerre, qui n’a pas été provoquée de façon centrale sur la question de l’esclavage (même si celle-ci a bien eu une influence), s’est peu à peu cristalisée autour de cette question, aboutissement à son abolition à la conclusion du conflit, en 1865, via le XIII amendement à la constitution des Etats Unis d’Amérique.

Guerre secession

Paul Philippoteaux - Gettysburg Cyclorama