Kamel Daoud, sur l'acte d'écrire

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Dans le podcast assez parlé, Kamel Daoud revient sur l’écriture, le plaisir, l’ennui et l’inhibition.

“Si je m’ennuie dans mes écrits, l’ennui est contagieux. L’acteur, il va le sentir. Même lui, il s’ennuie.
Moi, je vais payer quelque chose qui m’ennuie. Donc, il y a ce côté plaisir, côté ludique, côté dangereux, côté appropriation de la langue, côté j’écris comme je veux. C’est pour ça que le premier acte de tout créateur, ça, je le crois maintenant, c’est de se libérer.
Et le plus dur pour un écrivain, c’est de se libérer. Parce qu’on vient à l’écriture d’abord avec une grande tradition, surtout en France. Il y a nombreux, les grands écrivains.
Donc, on arrive, on est au bout de la chaîne alimentaire, il ne reste rien pour nous. Et d’un autre côté, je le dis souvent, l’ennemi du livre, c’est ça. L’ennemi de l’écrivain, c’est ça.
C’est-à-dire le livre achevé. Quand on lit, on se dit, mais je ne peux pas écrire comme ça. Mais ça, c’est le bout de la chaîne.
Récriture, editing, j’ai changé, etc. Donc, bien sûr que vers la fin, c’est de l’ouvrage fait. Et c’est inhibant parce qu’on croit qu’on doit écrire comme ça dès le début.”
“Ça, c’est la fin du processus. C’est pas le début. Le début, c’est des ratures.
J’étais un jour invité à l’université américaine de Yale. Ils ont une banque de manuscrits. Ils sont un chasseur de manuscrits dans le monde qui assurent les manuscrits des grands écrivains.
Donc, j’ai eu le privilège de consulter le manuscrit de Camus, le mythe de Sisyphe. Camus, c’est de la clarté. J’aurais pu vous montrer, j’ai pris des photos de ce texte.
Ils sont hyper raturet. La rature, c’est partie du texte. Avant d’hier, j’ai écrit trois chapitres.
Hier, j’ai décidé de les jeter à la poubelle. C’est très douloureux, mais ça ne correspondait pas à l’économie du texte. Mais l’idée qu’il fallait que je jette trois chapitres pour pouvoir entamer le quatrième, elle est nécessaire.
Donc, c’est un peu cette idée-là. Il faut garder de l’amusement, il faut s’amuser, il faut se sentir absolument libre. Et c’est difficile d’être libre.
Parce que nous apprenons à écrire avec des règles. Puis nous lisons des oeuvres et des chefs d’œuvre achevés. Puis nous arrivons vers le bout en disant moi aussi je vais prendre la parole, je vais écrire.”
“C’est écrasant, c’est inhibant. Et je crois que le talent, ce n’est pas d’en avoir, c’est de le libérer. C’est ça le talent, c’est de pouvoir libérer son propre talent.
C’est ce qui fait que par la suite, on écrit, on se dit Ah mais, c’est lui, je reconnais son style. Ça ne peut pas être quelqu’un d’autre, c’est lui. Et il l’écrit en s’amusant, en découvrant, en lisant.”