Dans son récit autobiographique, Joseph Anton, pseudonyme choisi en hommage à Joseph Conrad et Anton Tchekhov, Salman Rushdie raconte ses années de vie de clandestinité provoquée par la fatwa publiée par le régime Iranien en 1989, à la suite de la publication des Versets Sataniques.
J’informe le fier peuple musulman du monde que l’auteur des Versets Sataniques, livre qui a été écrit, imprimé et publié en opposition à l’islam, au Prophète et au Coran, aussi bien que ceux qui l’ont publié ou ont connaissance de son contenus sont condamnés à mort. J’appelle tous les musulmans à les exécuter où qu’ils se trouvent.
C’est par ces quelques mots sur une simple feuille de papier portant un texte dactylographié, que la vie de Salman Rushdie bascule. S’ensuit pour Salman Rushdie une période de vie en clandestinité, condamné à se cacher, déménager régulièrement, changer de nom, et renoncer à la plus grande partie de sa vie sociale et familiale. La vie en clandestinité durera environ 10 ans avant qu’il puisse reprendre une vie quasi normale.
Cette partie de la vie de SR résonne de façon assez singulière avec le livre de Job. En effet, le diable (ici, Khomeyni, le régime Iranien) arrive à provoquer un grand malheur sur Rushdie - alors écrivain talentueux, promis à un avenir brillant qui a déjà reçu le prix Booker pour un Roman précédent, Les enfants de minuit. Le malheur vient chambouler sa vie et le rendre misérable. A l’issue de cette décennie, il peut reprendre sa vie de romancier, sa carrière brillante, jusqu’à l’attentat dont il a été victime en 2022.
Ainsi, Rushdie doit faire face à la remise en cause complète de sa vie, qui le pousse à questionner en permanence l’injustice et l’arbitraire dont il est victime. Salman refuse obstinément cette injustice, se révolte, le plus souvent en vain.
Non, je ne tiendrai pas ma langue
souffle oppressé
je parlerai
âme amère
je gémirai1
Face à ces complaintes, il reçoit en permanence les conseils plus ou moins avisés d’amis et de connaissances. Certains se détournent, disparaissent, d’autres finissent par le soupçonner, d’être un peu responsable de sa situation et se plaignant de sa plainte, l’enjoignent à demander pardon pour le malheur dont il est victime (d’autres, heureusement, le soutiennent sans faille).
Les gens d’esprit me diront
et les sages qui m’écoutent :
“Job a parlé sans savoir
son discours était absurde”
– demandons raison à Job
de ses propos de néant
car il joint l’offense au crime
en agitant parmi nous
ses différents avec Dieu.
Le soupçon pouvant parfois aller jusqu’à la calomnier, l’accusant d’être coupable de ce qui lui arrive.
Et maintenant
il me citent dans leurs chansons
j’alimente leurs commérages
ils me détestent
ils m’évitent
ils me crachent même au visage
depuis qu’il a bandé son arc et m’a blessé
à droite ils sont perchés en masse
ils me font perdre pied
leurs sentiers de malheur m’arrêtent
ils condamnent ma route
ils savourent ma ruine
et ils le font sans aide
s’engouffrent dans la brèche
vautrés dans la dévastation
– moi j’ai basculé dans la peur
qui chasse ma joie comme un vent
et mon salut passe
un nuage.
La figure de Dieu, de son côté - si on peut qualifier ainsi les démocraties libérales ici, en tant qu’instance “supérieure”, qui possède un pouvoir d’influer sur les vies, de les protéger ou de les laisser à leur sort - est un peu ambigüe également. Elle semble le plus souvent donner son aide un peu à reculons, teintée de soupçon (et puis aussi Dieu a parfois d’autres projets, des négociations en cours avec l’Iran, qui laissent parfois l’impression que la situation de SR est un peu encombrante).
Crois-tu qu’un brave est utile à Dieu ?
Non
Job raillé par sa femme - Georges de La Tour
-
les extraits du livre de Job de ce billet sont issus de la traduction de la bible Bayard ↩︎