Impossibles adieux - Han Kang

· 894 mots · Temps de lecture 5min

8 octobre

La mémoire impossible des massacres.

Même les nourissons ?
Parce que leur but était de les exterminer
Exterminer qui ?
Les rouges

Le roman s’ancre dans l’histoire de la Corée, de la guerre du début des années 50 qui a divisé le pays. Méconnue, cette guerre a donné lieu à une répression féroce, faisant entre 100000 et 200000 morts suivie, en Corée du Sud par une dictature militaire jusque dans les années 90 où le voile a commencé à être levé sur ces massacres.

“Depuis, ma mère n’a cessé de rassembler des documents, trente-quatre années durant.”
Je répète les mots d’Inseon, trente-quatre années durant.
“Jusqu’à ce ue l’armée se retire et qu’un civil accède à la présidence.”

C’est le cas en particulier sur l’Ile de Jeju, où a eu lieu un soulèvement sévèrement réprimé - avant la guerre elle-même - donnant lieu à des massacres de masse par l’armée et la police (wikipedia évoque un total de près de 30000 morts, 230 villages et 40000 maisons détruits).

Gyeongha, personnage principal du roman rejoint la maison de Inseon située sur l’Ile suite à un accident de cette dernière, et découvre sur place des archives, de la documentation sur ces massacres. Elle y découvre dans ces archives une tentative de reconstitution de l’histoire de la famille d’Inseun, ses parents, victimes et survivants brisés de cette répression, et de la tentative de sa mère de retrouver une trace de ses parents, frères, cousins disparus.

Elles ont juste vu un document attestant de son transfert à Kinju en juillet 1950, quatre ans plus tôt donc. En l’absence de train direct, elle sont d’abord parties pour Busan. Elles ont passé la nuit dans une auberge en face de la gare et le lendemain, au petit matin, elles ont pris le train pour Jinju, puis un bus jusqu’à la prison.
Mon oncle ne s’y trouvait pas. Mais cette fois aucune trace de transfert. Après une nuit de plus à Jinju, elles se sont remises en route, direction le porte de Yeosu. Ca ma tante avait insisté pour raccompagner ma mère avant de rentrer sur Séoul. Tandis qu’elles attendaient le bateau, ma tante a dit à ma mère. Que nous abandonnons. Que notre frère est mort. Que nous prendrons le jour de son transfert à Jinju comme jour d’anniversaire de son décès.

C’est l’histoire d’une mémoire impossible qui se dessine ici, une lutte perdue d’avance contre l’oubli, celui forcé par la dictature, puis par le voile qui se pose sur la mémoire et le temps qui passe.

L’histoire est reconstituée à partir de bribes, de photographies, de découverte de charniers, de témoignages tardif, de l’impossibilité de connaître avec certitude l’enchaînement des événements, de retracer avec précision le destin des personnes disparues, de s’extraire totalement de ces épisodes vécus dans la chair et dans l’âme.

*Il est possible qu’une dissociation se soit produite chez ma mère à compter de ce jour.
Depuis que son frère, cette nuit, s’était mis à exister dans deux états différents.

Les personnages sont réduits à émettre des conjectures, plus ou moins plausibles, fragiles, plus ou moins désirées - dans la mesure où on peut désirer que quelqu’un ait pu ne pas trop souffrir - espérer qu’il s’en soit sorti et ait simplement disparu. Les fantômes rodent, il est difficile de savoir ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.

“La probabilité que cet homme soit mon oncle n’est pas nulle, chuchotte Inseon. Tout comme l’un des trois mille corps retrouvés dans les mines.”
(…)
“Bien sûr, il est possible d’imaginer que c’était mon oncle, qu’il avait tout fait par la suite pour revenir sur l’île… mais est-ce possible d’en être certain ? Quelqu’un qui a échappé à un tel enfer est-il encore celui qui ferait les choix que nous supposons rationnels vus d’ici ?”

Ce sujet de la mémoire face aux événements tragiques de l’histoire, de son absence, de la difficulté à s’y confronter ou encore son irruption effrayante ou absurde se retrouve également dans Houris de Kamel Daoud ou encore dans 1986 de Yu Hua ; contrairement à la Chine ou l’Algérie, la Corée du Sud a pourtant tenté de mettre en place une commission vérité et réconciliation dans les années 2000 ; il apparaît toutefois que même plusieurs décennies après les événements, celle-ci a rencontré certaines résistances, mais peut-être celles-ci sont inévitables dans ce type d’exercice.

K. D.-C. - Le sujet le plus responsable, le ministère de la Défense, a toujours fermement refusé de reconnaître ses fautes. Mais nous avons senti un petit changement d’attitude chez les Coréens ordinaires. Les résultats les plus importants ont été les changements de regard sur des tragédies historiques au sein de nombreuses communautés locales. C’est en partie parce que les médias locaux ont largement couvert nos travaux. Quand une affaire est résolue, la Commission organise un service commémoratif officiel avec les personnes endeuillées au siège du comté. A ce service, participent le gouverneur, les militaires, la police et d’autres responsables ainsi que les familles des victimes. En outre, un monument est dédié aux victimes. Mais il n’a pas été possible de le faire partout. Dans des régions comme le Cholla, une telle reconnaissance officielle a permis de redonner une dignité aux victimes. Mais dans d’autres régions où les dirigeants locaux sont hostiles à la Commission, cela a été impossible.

Massacre en Corée

Pablo Picasso, « Massacre en Corée », 1951