Huit leçons sur l'Afrique - Alain Mabanckou

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Huit leçons sur l’Afrique

Retranscription des 8 conférences réalisées par Alain Mabanckou au collège de France, en 2016

La conférence inaugurale, en particulier, retient l’attention, en ce qu’elle retrace l’émergence d’une littérature d’Afrique ; j’appelle ici ainsi, et ce n’est pas A. Mabanckou qui le fait, une littérature européenne qui parle de l’Afrique, puis une littérature proprement Africaine - écrite par et pour les africains, cette littérature ayant émergée sous l’ombre de la colonisation.

L’Afrique a pendant plusieurs siècles été vue, imaginée, fantasmée par les Européens comme un continent sauvage, ténébreux, matière première des récits d’aventures et d’exploration, teintés d’exotisme, qui ne laissaient pourtant entendre qu’une seule voix, celle du colonisateur. Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour qu’une littérature écrite par et pour les Africains se révèle. De la négritude à la « migritude », il appartient aux écrivains noirs d’aujourd’hui de penser et de vivre leur identité artistique en pleine lumière. (source)

La littérature - au sens où nous l’entendons aujourd’hui - arrive sur le continent Africain avec les européens, selon différentes modalités. Il y a d’abord une littérature basée sur un appétit de connaissance, de savoir dont l’objet est d’explorer, de découvrir les tâches blanches sur les cartes d’Afrique - ce qui ne se fait pas sans préjugés, ou désirs d’exotisme. Cette recherche de savoir se transforme en littérature d’aventure, mûe par un désir de possession et d’appât du gain dans laquelle s’oppose un monde civilisé auquel s’oppose le monde Africain, l’homme noir, ceux qui n’ont inventé ni la poudre, ni la boussole, ceux qui n’avaient jamais su dompter la vapeur ni l’électricité, ceux qui n’avaient exploré ni les mers ni le ciel (Aimé Césaire, cahier d’un retour au pays natal)

S’ensuit une littérature exotique, qui s’engage à reproduire un voyage qui a déjà été fait : celui d’où proviennent les textes ou les images si attirants qu’on veut aller les voir en vrai (J-F Staszac) où les Africains restent cantonnés à un rôle caricatural, “Un autre monde”, un monde de la bestialité, en somme, “l’antithèse de l’Europe, par conséquent de la civilisation”. En parallèle se développe la littérature coloniale, dans laquelle, la légitimité du discours revient à ceux qui vivaient – ou avaient vécu – la réalité coloniale centrée sur le vécu, destinée à justifier les politiques coloniales.

Avec cette littérature coloniale arrivent également les regards critiques du système colonial par certain de ces écrivains, qui changent le regard sur la colonisation et les populations colonisées, ainsi Michel Leiris précise dans la préface de L’afrique fantôme : “Passant d’une activité presque exclusivement littéraire à la pratique de l’ethnographie, j’entendais rompre avec les habitudes intellectuelles qui avaient été les miennes jusqu’alors et, au contact d’hommes d’autre culture que moi et d’autre race, abattre des cloisons entre lesquelles j’étouffais et élargir jusqu’à une mesure vraiment humaine mon horizon”.

Ainsi, si la littérature coloniale a accompagné le mouvement de colonisation, elle a également contribué à en miner les fondements et à en dénoncer les injustices et les crimes - travail forcé, exploitation, racisme. Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de coeur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie." (A. Londres, dans sa préface à Terre d’ébène)

La colonisation a également engendré une littérature africaine, qui s’est aussi construite au contact de la culture afro-américaine, le point de rencontre entre les deux mouvements culturels étant Paris, lieu d’exil européen pour de nombreux écrivains afro-américain et lieu d’étude pour les africains colonisés. Cette littérature s’oppose au discours occidental et ambitionne de construire une parole africaine et de rejeter le système, et donc le roman, colonial. La littérature continue de creuser ces deux sillons (opposition à la domination coloniale et constitution d’une “parole africaine”). Après les indépendances, la construction d’une parole Africaine oscille entre promotion d’un discours identitaire et volonté d’une parole plus libre, dans le choix de ses sujets - à la fois sur un plan individuel ou collectif.

C’est dans ce cadre qu’émergent de nouvelles thématiques, qui se détachent du cadre colonial : l’Afrique a aussi connu des tragédies qui ne sont pas de la responsabilité de l’homme blanc colonisateur - esclavage, colonisation interne au continent existaient avant la colonisation (et n’excusent en rien celle-ci, faut-il le préciser ?) : le discours et les sujets littéraires s’autonomisent, même s’il continuent de dialoguer avec les imaginaires - et le réel - des anciens colonisateurs, via les questions migratoires.

Ainsi, ces dernières décennies, enfin, une large partie de la littérature d’Afrique explore les questions des migrations, de la condition de l’immigré, décentrant la littérature des questions identitaires propres à la colonisation (la dénonciation du colonisateur, l’affirmation d’une identité propre, la négritude) vers des thématiques plus centrées sur la condition des migrants, la recherche et la préservation des origines, les trajectoires individuelles et leur dialogue avec le collectif. L’exploration des destins et des injustices liées à cette condition.

un homme

“Duco Sangharé, Peuhle”, Fernand Lantoine, années 1920-1930