Vassili Grossman ouvre le récit de son voyage en Arménie, La paix soit avec vous par une description saisissante de la statue de Staline érigée à Erevan.
La statue est monumentale, plus de 50m de hauts avec son socle.
Il se dresse au-dessus d’Erevan, au-dessus de l’Arménie, il se dresse au-dessus de l’Ukraine, au-dessus de la mer Noire et de la Caspienne, au-dessus de l’océan Arctique, au-dessus de la taïga de Sibérie orientale, au-dessus des sables du Kasakhstan. Staline, c’est un état.
Ce monument a été érigé en 1951. Savants, poètes, bergers d’élite, ouvriers progressistes, étudiants et écoliers, vieux bolchéviques se sont rassemblés au pied du géant de bronze. Dans leurs discours les orateurs ont, bien sûr, parlé du plus grand d’entre les grands, du plus génial d’entre les génies, du plus sage d’entre tous les sages, du cher et bien aimé père et maître. Toutes les têtes se sont inclinées devant le maître des lieux, le chef, le bâtisseur de l’Etat soviétique. L’état de Staline exprimait le caractère de Staline. Dans le caractère de Staline se reflétait le caractère de l’Etat qu’il avait construit.
Cette statue a été érigée en 1951 et déboulonnée en 1962, deux ans après son voyage en Arménie. On ne sait donc par si Vassili Grossman était au courant du déboulonnage au moment où il évoque cette possibilité.
Les travailleurs du comité du parti d’Erevan racontaient que dans un village de la vallée de l’Ararat, on avait proposé, lors d’une assemblée générale des kolkhoziens, d’enlever le monument à Staline. Les paysans ont répliqués : le gouvernement a collecté auprès de nous cent mille roubles pour édifier ce monument. Maintenant le gouvernement veut le détruire. Allez-y, détruisez, mais rendez-nous nos cent mille roubles… Un vieillard a proposé de retirer le monument et de l’enterrer, sans le détruire : “il servira peut-être encore, en cas de nouveau régime, cela nous évitera de sortir une nouvelle fois notre argent.”
La statue sera par la suite remplacée par une autre, aussi monumentale : “mère Arménie”, érigée en 1967.
Mère Arménie