Le marxisme de Marx

Sexe, cruauté et violence dans la Bible hébraïque.

Le Dieu de l’ancien testament peut sembler déconcertant, loin de l’image d’un Dieu bienveillant que l’on peut retrouver dans la tradition chrétienne. Il peut apparaître comme étant cruel, violent, tyran, vengeur, assassin, ordonnant massacres ou guerres au gré des différents livres de la Bible et des personnages qui croisent sa route.

Ce livre de Thomas Römer d’attache à déterminer le contexte historique dans lequel s’inscrit la rédaction de ces différents livres - qui peut offrir une grille d’interprétation quant au contenu de ces différents livres, et tâche de faire dialoguer différents récits, afin d’en tirer une interprétation : loin d’être un obstacle rédhibitoire, les apparentes contradiction au sein des différents récits peuvent enrichir les interprétations que l’on peut en faire, que ce soit dans la tradition juive ou chrétienne.

Dieu est-il cruel? Se comporte-t-il en adversaire de l’homme? Les quatre histoires exemplaires que nous avons evoquées nous amenent au constat suivant: il s’agit de récits qui sont nés en controntation avec des pratiques humaines cruelles, voire mortelles: tendances intégristes, sacrifices d’enfants. Et le comportement divin qui nous paraît aujourd’hui cruel est celui qui vient mettre en question la cruauté des hommes. Autrement dit: ces textes traitent en premier lieu de la cruauté des hommes et non de la cruauté de Dieu. On peut dès lors se poser la question de savoir si la cruauté de Dieu ne serait pas simplement le résultat d’un transfert de la cruauté des hommes sur Dieu. Mais ce serait là une réponse psychologisante et rassurante.
La plupart des grands textes religieux de l’humanité contiennent des récits dans lesquels une divinité s’acharne contre un homme, souvent sans raison apparente. Ces textes rappellent à l’homme la fragilité de son existence, mais aussi celle de ses conceptions théologiques. Là où Dieu apparaît comme un Dieu obscur, voire cruel, il ne reste au croyant qu’une seule solution: se mettre à l’école de Job. Celui-ci, au moment même où il dénonce avec une audace inouie la cruauté de Dieu, n’a pas d’autre recours que de s’écrier: « Je sais que mon rédempteur est vivant» (Job 19,25) et d’en appeler ainsi à Dieu - contre Dieu.

Ainsi, à travers différents épisodes et personnages : Eve et Adam, Abel et Caïn, Job, Jacob et d’autres ; il tente d’éclairer ce mal qui semble être en Dieu, qui n’est qu’un reflet du mal et de la violence qui est une composante de la condition humaine.

Gn 4 nous présente une réflexion sur la violence comme faisant partie de la condition humaine. Selon l’auteur de ce texte, cette violence naît du fait que l’homme ne supporte pas la différence et l’inégalité. Néanmoins, Dieu n’est pas étranger à cette violence, Puisqu’il confronte l’homme à l’expérience de l’inégalité. Mais Dieu veut également que l’homme apprenne à gérer la violence en s’opposant à son escalade. La violence, comme la liberté et la responsabilité, font partie de la situation de l’être humain. Et comme Dieu n’est étranger à aucun domaine de la vie humaine, il est aussi impliqué dans la violence, tout en donnant à l’homme des pistes pour «s’en sortir». La gestion de la violence ne suppose nullement sa négation ou son abstention dans les conflits qui secouent notre vie et notre époque. Affronter la violence, c’est y être mêlé. Anne Sylvestre, qui a composé une chanson sur Cain et Abel, l’a fort bien ressenti : «Abel, Cain, mon fils, mon âme, comment démêler ton destin? Comment protéger ta flamme sans par trop me brûler les mains? »

Si Dieu peut porter en reflet des éléments de la condition humaine, il n’en reste pas moins souvent incompréhensible, Dieu est Dieu, nous sommes des hommes, il nous échappe parfois. Nous pouvons en retour être tentés d’entrer en marchandage avec lui, ou du moins avec l’idée que nous nous faisons de lui : nous cherchons à rationaliser nos malheurs, par exemple, en expliquant que l’irruption du mal dans nos vies serait une réponse à un mauvais comportement, une “punition” en quelque sorte méritée ; Dieu est du côté des justes, le chaos et le mal est le domaine des vilains.

Cette idée est contredite dans la Bible elle-même au travers plusieurs figures, en particulier par la figure de Job ou Qohéleth, livre dans lequel ses amis l’exhortent Job à reconnaître sa faute, ce qu’il ne peut pas, ne veut pas faire.

En réalité, cette vision est une fiction rassurante, peut-être une mauvaise compréhension de l’idée de Dieu, et de sa nature même. Le mal est une composante du monde, existant indépendamment de celle de Dieu, dont on ne connaît pas la source, mais dont l’existence est actée dès la création du monde, dans le livre de la Genèse.

Se pose alors la question du « statut» du mal par rapport au Dieu unique, créateur de l’univers. Dans les discours divins du livre de Job, le mal, représenté par les puissances du chaos, avait reçu une certaine autonomie, puisque ces puissances doivent être combattues par le Dieu créateur.
Une conception comparable se trouve dans le récit sacerdotal de la création en Gn 1. L’auteur affirme, peut-être contre toute évidence, que le monde créé par Dieu est bon. Certes, le monde actuel ne correspond pas directement au projet initial de Dieu; le récit du Déluge et la conclusion de l’alliance avec Noé (Gn 9,1-7) qui ratifie certaines « déviations» face à la création originelle, soulignent cette différence. Le récit biblique du Déluge, contrairement aux nombreux récits parallèles qu’on a recensés dans le Proche-Orient ancien, motive l’initiative de Yhwh d’anéantir tous les êtres vivants par la méchanceté des hommes ou la violence qui avait «corrumpu toute chair» et lui donne ainsi un caractère éthique. Cependant, le récit ne spécule pas sur l’origine du mal. Pour l’auteur sacerdotal du premier récit de la création, la réponse à cette question est claire: Dieu n’a pas créé le mal! Avant que Dieu crée par sa parole, il y avait le tohu-bohu, le tehom, c’est-à-dire les eaux primordiales - deux expressions symbolisant le chaos - et les ténèbres (Gn 1,2). Dieu intègre ces données dans la création en les transformant (les eaux sont repoussées, les ténèbres éclairées), mais les ténèbres et le chaos ne sont pas bons (lors du premier jour de la création c’est seulement la lumière qui est appelée bonne, Gn 1,4). Gn 1 montre alors une tendance à exclure le mal de l’œuvre de Dieu.

Un des points les plus intéressant de cet essai, c’est qu’il montre que, de part sa structure multiple - multiplicité des récits, des auteurs, la Bible ouvre les possibilités d’interprétations différentes, voire divergentes, et pourtant appuyées sur le même corpus de texte. Il y a un espace d’ajustement de la pensée et de dialogue, en son sein, ce qui peut-être vu comme un antidote à la tentation du fondamentalisme.

La Madeleine pénitente (au miroir)

« La Madeleine pénitente (au miroir) » - Georges de La Tour