Dans la continuité de la lecture de Joseph Anton, une enquête sur la crise provoquée par la publication des 12 dessins par le journal Jyllands Posten en 2006.
(billet un peu confus, je le reprendrais peut-être un peu plus tard… ou pas !)
L’enquête est de très bonne qualité, très factuelle et documentée et est constitué de 4 parties : une courte préface relatant l’épisode Salman Rusdhie, l’enquête proprement dite, composée d’un rappel sur le traitement politique des enjeux d’immigration au Danemark, ce qui permet de mieux saisir dans quel cadre les différents acteurs ont pu agir, puis le déroulement de l’affaire proprement dite, de la publication des dessins, la mue en crise internationale et sa résolution. Enfin, une postface consacrée à la situation de Charlie Hebdo, entre 2006 jusqu’aux attentats.
Le point de départ est la publication par le Jyllands Posten d’une série de 12 dessins dont le sujet est le prophète. Il est à noter que cette série n’est pas réalisée dans un esprit de caricature proprement dit (le journal ne cherche pas à se moquer, encore moins à offenser), mais s’inscrit dans le cadre d’une enquête sur certaines formes d’autocensures constatées chez certains écrivains/illustrateurs, l’objet de cette publication est d’illustrer, sous la forme de “travaux pratiques”, le résultat de cette enquête.
Il s’ensuit une instrumentalisation de cette publication, d’abord par des Imams locaux, puis une internationalisation de l’indignation par plusieurs pays/gouvernements/organisations, donnant une dimension de crise internationale à cette publication. S’ensuivent des manifestations, attaques d’ambassades, violences dans de nombreux pays, provoquant plusieurs décès et de nombreux blessés. Le gouvernement Danois et le journal resteront inflexibles (ils ne s’excuseront pas, et ne remettront pas la liberté d’expression en question). Les autres pays occidentaux semblent d’abord plutôt gênés par cette affaire, peu enclins à apporter leur soutien, ils finissent par prendre une position plus ferme quand d’autres journaux - un peu partout en Europe, publient à leur tour ces dessins.
On retrouve quelques traits communs à ces différentes affaires. Tout d’abord une forme de duplicité de la part de ceux qui instrumentalisent. Une duplicité de discours - entre celui servi dans le cadre occidental et celui versé dans les pays musulmans, couplé d’un usage éhonté de la manipulation et du mensonge - plusieurs des dessins circulant dans les pays musulmans, poussé sur place par un des imams Danois et parmi les plus injurieux, ne faisaient pas partie des dessins initialement publiés par le journal : il ont volontairement été ajoutés afin de d’alimenter la colère.
Ce type d’affaire est en réalité le plus souvent utilisé à des fins de politique intérieure dans les pays “indignés”, les régimes peu ouverts trouvant ici un moyen peu coûteux de rassembler autour d’une cause commune, facile à actionner, voire à “triangulariser” une opposition islamiste un peu trop menaçante (en Egypte, par exemple) - autant de considérations un peu lointaine de la simple défense de l’Islam.
Le dernier point – outre le recours quasi ouvert à la violence envers les auteurs, violence souvent appelée à demi-mot tout en étant déniée ou minimisée – est le positionnement institutionnel que prennent ces mouvements : utilisation d’outil diplomatiques au nom d’une religion. Sommation aux états occidentaux de modifier leur législation, forme un peu étrange de colonialisme juridique. Enfin, l’institutionnalisation de la défense de l’Islam à travers différentes organisations, qui se placent comme interlocuteurs diplomatiques à même de discuter et négocier avec d’autres état (voire, en particulier les développements autour de sur l’Organisation de la Conférence Islamique proposés dans l’ouvrage, qui sont assez frappants - et mériteraient probablement un billet en tant que tel), en défense d’une religion, mais porteur d’un véritable projet politique.
Etant membres de l’ONU, les Etats de l’OCI sont censés reconnaître la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, selon laquelle les droits sont inhérents à l’individu, indépendamment de ses appartenances - religieuses par exemple. Or l’OCI a promulgué en 1990 une “déclaration des droits de l’homme en Islam” qui soumet les droits humains à la prééminence de la Ummah islamique et de la charia. Cette déclaration de 1990 pose, d’une part, que la “Ummah islamique, dont Dieu a fait la meilleure communauté” constitue, pour l’humanité entière, le modèle “d’une civilisation universelle et équilibrée, conciliant la vie d’ici-bas et l’Au-delà, la science et la foi” ; et qu’à ce titre, “la Ummah” peut et doit éclairer “l’humanité, tiraillée entre tant de courants de pensées et d’idéologies antagonistes”, et apporter “des solutions aux problèmes chroniques de la civilisation matérialiste”. D’autre part, cette Déclaration institue la charia en principe suprême : les droits humains en seront déduits, il ne sauraient entrer en contradiction avec la charia. L’article final précise d’ailleurs que “la charia est l’unique référence pour l’explication ou l’interprétation de l’un quelconque articles contenus dans la présente Déclaration”.
Notons que les droits “universels” de l’homme “en islam” ne comportent pas la liberté, pour un individu, de pratiquer la religion de son choix, celle d’apostasier sa religion ou celle de n’en pratiquer aucune. La liberté d’expression est garantie, pour autant qu’elle ne soit pas en contradiction avec la charia. Quant à l’information, malgré son caractère “vital pour la société”, elle ne doit en aucun cas “porter atteinte au sacré et à la dignité des prophètes ou à des fins pouvant nuire aux valeurs morales et susceptibles d’exposer la société à la désunion, à la désintégration ou à l’affaiblissement de la foi”.
Une liberté d’expression, sans possibilité de pluralisme.
Muhammad reçoit la révélation de l’ange Gabriel. Compendium des Histoires (Jâmi‘ al-tawârikh) de Rashîd al-dîn, - début du XIVe siècle